La Esmeralda | Page 5

Victor Hugo
IV.
LES PRéCéDENTS, LA ESMERALDA.
Entre la bohémienne, timide, confuse, et radieuse. Mouvement d'admiration. La foule s'écarte devant elle.
CHOEUR.
Regardez! son beau front brille entre les plus beaux, Comme ferait un astre entouré de flambeaux!
PHOEBUS.
Oh! la divine créature! Amis, de ce bal enchanté Elle est la reine, je vous jure. Sa couronne c'est sa beauté!
[Il se tourne vers MM. de Gif et de Chevreuse.]
Amis, j'en ai l'ame échauffée! Je braverais guerre et malheur, Si je pouvais, charmante fée, Cueillir ton amour dans sa fleur!
M. DE CHEVREUSE.
C'est une céleste figure! Un de ces rêves enchantés Qui flottent dans la nuit obscure Et sèment l'ombre de clartés! Dans le carrefour elle est née. O jeux aveugles du malheur! Quoi! dans l'eau du ruisseau tra?née, Hélas! une si belle fleur!
LA ESMERALDA, [l'oeil fixé sur Phoebus dans la foule.]
C'est mon Phoebus, j'en étais s?re, Tel qu'en mon coeur il est resté! Ah! sous la soie ou sous l'armure, C'est toujours lui, grace et beauté! Phoebus, ma tête est embrasée! Tout me br?le, joie et douleurs. La terre a besoin de rosée, Et mon ame a besoin de pleurs!
FLEUR-DE-LYS.
Qu'elle est belle! j'en étais s?re. Oui, je dois être, en vérité, Bien jalouse, si je mesure Ma jalousie à sa beauté! Mais peut-être, prédestinées, Sous la rude main du malheur, Elle et moi, nous serons fanées Toutes les deux dans notre fleur!
MADAME ALOISE.
C'est une belle créature! Il est étrange, en vérité, Qu'une bohémienne impure Ait tant de charme et de beauté! Mais qui conna?t la destinée? Souvent le serpent oiseleur Cache sa tête empoisonnée Sous le buisson le plus en fleur.
TOUS, [ensemble.]
Elle a le calme et la beauté Du ciel dans les beaux soirs d'été!
MADAME ALOISE, [à la Esmeralda.]
Allons, enfant, allons, la belle, Venez, et dansez-nous quelque danse nouvelle.
[La Esmeralda se prépare a danser et tire de son sein l'écharpe que lui a donnée Phoebus.]
FLEUR-DE-LYS.
Mon écharpe!... Phoebus, je suis trompée ici, Et ma rivale, la voici!
[Fleur-de-Lys arrache l'écharpe à la Esmeralda, et tombe évanouie. Tout le bal s'ameute en désordre contre l'égyptienne, qui se réfugie près de Phoebus.]
TOUS.
Est-il vrai? Phoebus l'aime! Infame! sors d'ici. Ton audace est extrême De nous braver ainsi! 0 comble d'impudence! Retourne aux carrefours Faire admirer ta danse Aux marchands des faubourgs! Que sur l'heure on la chasse! A la porte! il le faut. Une fille si basse élever l'oeil si haut!
LA ESMERALDA.
Oh! défends-moi toi-même, Mon Phoebus, défends-moi! L'humble fille bohème N'espère ici qu'en toi.
PHOEBUS.
Je l'aime, et n'aime qu'elle! Je suis son défenseur. Je combattrai pour elle. Mon bras est à mon coeur. S'il faut qu'on la soutienne, Eh bien, je la soutien! Son injure est la mienne, Et son honneur le mien!
TOUS.
Quoi! voilà ce qu'il aime! Hors d'ici! hors d'ici! Quoi! c'est une bohème Qu'il nous préfère ainsi! Ah! tous les deux, silence Sur une telle ardeur!
[A Phoebus.]
Vous, c'est trop d'insolence!
[A la Esmeralda.]
Toi, c'est trop d'impudeur!
[Phoebus et ses amis protègent la bohémienne entourée des menaces [de tous les conviés de madame de Gondelaurier. La Esmeralda se [dirige en chancelant vers la porte. La toile tombe.]

ACTE TROISIèME

SCèNE PREMIERE.
[Le préau extérieur d'un cabaret. A droite la taverne. A gauche [des arbres. Au fond une porte et un petit mur très bas qui cl?t [le préau. Au loin la croupe de Notre-Dame, avec ses deux tours et [sa flèche, et une silhouette sombre du vieux Paris qui se détache [sur le ciel rouge du couchant. La Seine au bas du tableau.]
PHOEBUS, LE VICOMTE DE GIF, M. DE MORLAIX, M. DE CHEVREUSE, [et plusieurs autres amis de Phoebus, [assis à des tables, buvant et chantant; puis] D0M CLAUDE FROLLO.
CHANSON.
CHOEUR.
Sois propice et salutaire, Notre-Dame de Saint-L?, Au soudard qui sur la terre N'a de haine que pour l'eau!
PHOEBUS.
Donne au brave, En tous lieux, Bonne cave Et beaux yeux! L'heureux drille! Fais qu'il pille Jeune fille Et vin vieux!
Qu'une belle Au coeur froid Soit rebelle, --On en voit,-- Il plaisante La méchante, Puis il chante, Puis il boit!
Le jour passe; Ivre ou non, Il embrasse Sa Toinon, Et, farouche, Il se couche Sur la bouche D'un canon.
Et son ame, Qui souvent D'une femme Va rêvant, Est contente Quand la tente Palpitante Tremble au vent.
CHOEUR.
Sois propice et salutaire, Notre-Dame de Saint-L?, Au soudard qui sur la terre N'a de haine que pour l'eau!
[Entre Claude Frollo, qui va s'asseoir à une table éloignée de celle où est Phoebus, et para?t d'abord étranger à ce qui se passe autour de lui.]
LE VICOMTE DE GIF, [à Phoebus.]
Cette égyptienne si belle, Qu'en fais-tu donc, décidément?
[Mouvement d'attention de Claude Frollo.]
PHOEBUS.
Ce soir, dans une heure, avec elle, J'ai rendez-vous.
TOUS. Vraiment?
PHOEBUS.
Vraiment!
[L'agitation de Claude Frollo redouble.]
LE VICOMTE DE GIF.
Dans une heure?
PHOEBUS.
Dans un moment!
LA ESMERALDA.
Oh! l'amour, volupté suprême! Se sentir deux dans un seul coeur! Posséder la femme qu'on aime! être l'esclave et le vainqueur! Avoir son ame, avoir ses charmes! Son chant qui sait vous apaiser! Et ses beaux
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