La Daniella, Vol. II. | Page 7

George Sand
sobre comme un Bédouin; je vivrais de dattes et d'une once de farine, et, depuis huit jours, je me nourris de pain, de viandes froides et de fruits secs, ne voulant pas souffrir que Daniella perde, à me faire des rago?ts et des soupes, le temps qu'elle peut passer à mes c?tés. Pourtant la jeunesse a des instincts de voracité toujours prêts à se réveiller, et l'air vif de Mondragone aiguise terriblement l'appétit. Je ne saurais donc affirmer que, malgré mon chagrin, mes agitations et mes dangers, la vue et l'odeur de ce macaroni br?lant me fussent précisément désagréables.
--Mangez, disait Tartaglia, et ne craignez rien. La Daniella ne mourra pas pour une entorse. Quand je l'ai laissée, elle ne souffrait déjà plus que du chagrin d'être séparée de vous. La première chose qu'elle me demandera quand je la verrai, ce soir, c'est si vous avez consenti à d?ner, à ne pas vous désoler et à prendre en patience son mal et votre ennui.
--Ah! mon ennui, qu'importe? Mais son mal! Et ce frère qui la menace! Est-ce vrai, tout ce que tu m'as dit?
--C'est vrai, Excellence, vrai comme voilà un bon macaroni; mais les menaces de l'ivrogne Masolino, la Daniella y est habituée et s'en moque. Il a beau se douter de quelque chose, il ne sait rien, il ne peut rien savoir. Et, d'ailleurs, s'il voulait maltraiter la pauvrette, les gens de la villa Taverna ne le souffriraient pas. Il a beau r?der dans le parc, s'il ne vous rencontre pas, il ne peut rien prouver contre elle.
--Prouver! elle serait donc impliquée dans mes contrariantes affaires, si l'on supposait qu'elle a des rapports d'amitié avec moi?
--Eh! mais oui, Excellence. Vous faites partie d'une société secrète...
--Cela est faux.
--Je le sais bien! mais on le croit; et Daniella, si son frère la dénon?ait, comme votre complice, au provincial des dominicains, ou seulement un curé de sa paroisse, comme mauvaise chrétienne, amoureuse d'un hérétique et d'un iconoclaste, pourrait bien aussi tater de la prison.
--Ah! ciel! je serai prudent, je me soumets! mais ne me trompes-tu pas?
--Eh pourquoi vous tromperais-je, vous que je voudrais conserver comme la prunelle de mes yeux pour de meilleures destinées?
Je m'étais assis et me laissais servir par lui, lorsqu'au milieu de ses protestations de dévouement, j'entendis secouer à ma fenêtre le petit grelot de la chèvre, dont nous avons fait une espèce de sonnette, Daniella et moi, au moyen d'un système de ficelles qui longent le mur du parterre.
--Tiens! m'écriai-je en me relevant, tu es un indigne coquin! Tu as menti, grace au ciel! Voilà la Daniella!
--Eh! non, mossiou! dit-il en se disposant à aller ouvrir; c'est l'Olivia, ou bien c'est la Mariuccia qui vient vous donner des nouvelles de sa nièce.
J'étais si impatient d'en recevoir de vraies que, sans m'inquiéter davantage de Tartaglia, je m'élan?ai, je franchis comme une flèche la longueur du parterre, et ouvris la porte du dehors sans aucune précaution. Ce n'était ni Mariuccia ni Olivia, mais bien le frère Cyprien, qui se glissa rapidement par la fente de la porte avant que j'eusse eu le temps de l'ouvrir toute grande et qui la repoussa derrière lui en me faisant signe de tirer les gros verrous.
--Silence! me dit-il à voix basse; j'ai pu être suivi malgré mes précautions!
Nous avan?ames dans le parterre, et il me parla d'une manière assez embrouillée: c'est sa manière. Ce que je compris clairement, c'est que le jardin était occupé, non pas ostensiblement, mais très-certainement par des gens de la police, et que le capucin courait des risques en venant me voir.
--Allons chez vous, dit-il; je vous parlerai plus librement. Quand il fut seul avec moi dans le casino, il me confirma le récit de Tartaglia. L'entorse de Daniella n'avait rien d'inquiétant, mais exigeait le plus complet repos. Son frère, installé chez les fermiers de la villa Taverna, avait l'oeil sur la porte et sur les fenêtres de sa chambre. Je devais renoncer à la voir jusqu'à nouvel ordre. Elle exigeait de nouveau ma parole d'honneur qu'à moins d'être poursuivi jusque dans l'intérieur de Mondragone, je m'y tinsse enfermé et tranquille.
--Donnez-moi cette parole, mon cher frère, dit le capucin, car elle est capable de tout risquer et de venir ici en se tra?nant sur les genoux.
--Je vous la donne, m'écriai-je; mais ne peut-elle m'écrire?
--Elle le voulait, j'ai refusé de me charger de sa lettre. Je pouvais être arrêté et fouillé. C'était nous perdre tous. Voyons, calmez-vous, et causons; mais donnez-moi quelque chose à manger, car c'est l'heure de mon souper, et j'ai une belle trotte à faire pour regagner mon couvent.
Je me hatai de servir le bonhomme, qui dégusta sa part de macaroni avec un appétit remarquable. Tout agité qu'il était, je vis qu'il prenait grand plaisir à manger, et cela me gênait beaucoup pour obtenir des réponses nettes aux mille
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