diable nous tient, le laisser faire, et je sais bien que si l'on contrariait votre opinion du moment, on la ferait durer plus qu'elle ne doit raisonnablement durer. Ne craignez donc pas que je vous dise du mal de la petite stiratrice. D'abord, il n'y a pas de mal à en dire: c'est une fille aimable et que j'ai failli aimer, moi qui vous parle.
Pour le coup, je perdis patience, et sentant que j'allais me porter à quelque stupide fureur, je me levai et courus m'enfermer dans ma chambre. Là, je tachai de sortir de l'étourdissement où tout ceci m'avait jeté. Je parvins à me calmer et à raisonner ma situation. La première pensée qui e?t d? se présenter à moi, c'est que Tartaglia me trompait; c'est qu'il avait dérobé la clef du parterre à Daniella évanouie. Je ne pouvais malheureusement pas douter d'un accident quelconque arrivé à cette chère créature, car l'heure du d?ner était passée et elle n'était pas là. Donc, Tartaglia était un espion chargé de découvrir le lieu de mon refuge; il avait procédé par induction, le hasard avait pu l'aider. On allait venir m'arrêter, ou bien, si la protection d'un certain cardinal était réelle et souveraine à Mondragone intra muros, on avait déjà coupé les communications entre Daniella et moi, et on se proposait de me prendre par famine.
--Eh bien, cela ne sera pas nécessaire, pensai-je; la chose impossible pour moi, c'est d'ignorer dans quelle situation est Daniella. à tout risque, j'irai à Taverna dès que la nuit sera sombre. Je viendrai à bout de la voir; je lui laisserai tout ce que je possède, à l'exception de ce qu'il me faut pour fuir, et je fuirai. J'irai l'attendre hors des états de l'église, pour l'épouser et l'emmener en France.
Je commen?ai donc par m'assurer de la solidité de ma canne à tête de plomb, car j'étais résolu à me défendre en cas de surprise. Je mis mon argent sur moi, dans une ceinture ad hoc. Je fis un petit paquet du linge le plus strictement nécessaire, et de l'album qui contient ce récit. Je pris en guise de passeport, au besoin, divers papiers pouvant constater mon identité auprès des autorités fran?aises. Je m'enveloppai de mon caban qui est presque à l'épreuve de la balle, et, résolu à braver toutes choses, je me dirigeai vers la porte de mon appartement qui communique avec l'intérieur du palais.
Mais au moment où je posais la main sur la serrure, on frappait à cette porte. Je m'arrêtai indécis.
--Si l'on vient me prendre, pensai-je, je sais le moyen de fuir, au moins de cette chambre.
Et je me hatai de sortir par l'autre porte et d'attacher à un balustre de la petite terrasse, la corde à noeuds que j'ai faite avec celle qui liait ma malle, et qui peut, avec quelques chances de succès, me faire descendre jusqu'au terrazzone. Je me hatais, pensant que l'on allait enfoncer la porte; mais on se contentait de frapper doucement et discrètement. J'entendis même, en revenant au seuil de ma chambre, la voix piteuse de Tartaglia qui me disait:
--Eh! mossiou! c'est votre d?ner qui va se refroidir. Ne vous méfiez donc pas de moi!
Ce pouvait être un piège, mais la crainte du ridicule l'emporta sur ma prudence. Si Tartaglia ne me trahissait pas, mes précautions étaient absurdes; s'il venait avec des estafiers, il y avait autant de chances de salut à me frayer résolument un passage au milieu d'eux à coups de casse-tête, qu'à me risquer le long de la corde, exposé au feu de quelque ennemi caché sous ma terrasse.
J'ouvris donc, l'arme au point, et ne pus m'empêcher d'avoir envie de rire en voyant Tartaglia assis par terre devant la porte, avec un plat couvert entre ses jambes, et attendant avec résignation mon bon plaisir.
--Je vois bien ce que c'est, dit-il en entrant courtoisement, sans oublier de jeter sous son bras son béret crasseux; vous croyez que je suis un coquin? Allons, allons, vous en reviendrez sur mon compte, _mossiou l'ingrat_! Voilà du macaroni que j'ai préparé dans votre cuisine, car je connais les êtres de longue date, et je me pique de vous faire mieux d?ner que jamais n'aurait su l'imaginer la Daniella. La pauvre fille! elle n'a jamais eu le moindre go?t pour la cuisine, tandis que moi, mossiou, j'ai le génie du vrai cuisinier, qui consiste à faire de rien quelque chose et à trouver le moyen de bien nourrir ses ma?tres au milieu d'un désert.
Le plat fumant qu'il posait sur la table donnait un tel démenti à mes suppositions, que je me trouvai tout honteux. Certes, depuis une heure qu'il était au coeur de ma forteresse, il aurait eu mieux à faire, s'il e?t voulu me livrer à mes ennemis, que de s'occuper à me préparer un macaroni au parmesan.
Je suis
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