chemins sont peu fréquentés, et ces bruits rares rompent la monotonie des bruits continus de la cascade et des girouettes.
Mais ce qui m'intéresse davantage, c'est ce qui peut arriver à mon oreille et à ma vue du c?té de la villa Taverna. La végétation est si épaisse autour de cette résidence, que je n'en aper?ois que les toits. Aussi Daniella a-t-elle imaginé de monter à une fenêtre en mansarde d'où je peux voir le point blanc de son fichu de tête, et distinguer le signe qu'elle me fait à midi, en allant sonner le go?ter des gens de la maison. Elle a cassé exprès la corde pour avoir le prétexte d'aller dans ce grenier secouer la cloche. Elle aime à pouvoir m'avertir elle-même de l'heure de ma collation.
Quelquefois aussi, en allant et venant sons les yeux de ses ouvrières, elle agite et frappe son tambour de basque, comme prise d'un vertige de gaieté. Quant le vent vient du couchant, il m'apporte cet appel amoureux qui me fait tressaillir et trembler de bonheur.
Le temps se maintient magnifique, et ce climat est délicieux au moment où nous sommes. Pourtant, il ne faut pas se faire trop d'illusions: c'est à peu de chose près, quant à présent, la température du centre de la France; il y a tout au plus huit jours d'avance sur la floraison des arbres fruitiers, et j'ai laissé la Provence plus avancée, sous ce rapport, que ne l'est la campagne de Rome aujourd'hui. Ce qui trompe la sensation dans ce pays-ci, c'est l'éternelle verdure des arbres à feuilles persistantes. Dans l'immense parc que j'ai sous les yeux, tout est chênes verts, pins, oliviers, bois et myrtes. Les acres parfums des diverses espèces de lauriers qui abondent à l'état d'arbres en fleur montent jusqu'à moi au point d'être quelquefois incommodes. C'est une très-bonne senteur d'amande amère, mais trop violente. Des milliers d'abeilles bourdonnent au soleil. Le ciel est d'un bleu étincelant. A midi, on se croirait en plein été; mais la mer et les montagnes amènent incessamment des nuages superbes, qui, tout à coup, rendent l'air très-frais. Les oiseaux ne songent pas encore à batir leurs nids; les papillons de ces climats ne sont pas en avance et ne font pas leur apparition plus t?t que chez nous. Les chataigniers et les platanes ne font que bourgeonner; les taillis de chênes ne songent pas encore à dépouiller leur feuillage sec de l'année dernière. Mon oncle le curé avait donc raison en me disant qu'à Rome les arbres ne _poussaient pas les racines en l'air_ et que notre pays en valait bien un autre. Mais, f?t-il ici, il ne pourrait comprendre combien la physionomie du moindre caillou diffère de celle d'un caillou de chez nous. Toute chose a son air particulier, son expression, son accent, sa gamme pour ainsi dire, et je me sens réellement bien loin de la France, bien absent du milieu qui faisait comme partie de moi-même, bien voyageur, bien surpris, bien badaud et bien intéressé par le moindre brin d'herbe que je rencontre.
Les nuits sont excessivement froides. Heureusement, nous avons découvert, dans certaines salles basses, des lits de charbon, provenant de l'incendie des boiseries ou des meubles du chateau, lors de l'occupation par les Autrichiens. Nous pouvons donc réchauffer nos petites chambres du casino sans produire de fumée dans les cheminées, et nous avons, dans l'appartement complet dont nous nous sommes emparés, une petite cuisine avec des fourneaux où un foyer de braise, constamment allumé sous la cendre, nous permet de puiser à toute heure.
Tout cet appartement s'est rempli et meublé, comme par magie, des ustensiles nécessaires à une véritable installation. Daniella trouve moyen d'apporter tous les jours quelque chose, et moi, en furetant dans les appartements du chateau, je découvre des vases brisés, des meubles éclopés ou des débris d'objets d'art, qu'avec quelque réparation, je fais servir au confort ou à l'ornement de notre intérieur.
Je n'ai qu'un souci en tête, c'est la crainte que cette douce existence ne prenne fin trop vite. On n'a aucune nouvelle certaine de mon affaire. Le capucin Cyprien, oncle de Daniella, qui va la voir tous les jours à la villa Taverna, lui dit que l'on me cherche, et que les carabinieri (ce sont les gendarmes du pays) s'informent de moi dans tous les environs. On sait que, malgré l'assertion de la Mariuccia, je n'ai pas paru à Tivoli. On a parlé de fouiller les villas, mais on y a renoncé, ce qui ferait croire que mon mystérieux protecteur a agi. Dans tout ceci, j'ignore si la police fran?aise a re?u avis de ce qui me concerne. Si cela est, elle me cherche peut-être à Rome pour me donner mes passe-ports et l'ordre de quitter les états romains. J'imagine que ce serait là le parti qu'elle croirait devoir prendre à mon
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