égard: aussi je me garderai bien de réclamer la protection de mon gouvernement en cette circonstance.
Un fait bizarre complique ma situation. Frère Cyprien a ou? dire que les agents de police, en furetant dans ma chambre de Piccolomini, d'où la Mariuccia s'était très-prudemment empressée de retirer mes bagages, avaient trouvé par terre un petit carré de métal percé de signes cabalistiques. On a demandé à la Mariuccia si cet objet m'appartenait. Elle n'en savait rien; mais, à tout hasard, elle a répondu que cela avait été laissé dans cette chambre par un voyageur qui m'y avait précédé de quelques mois, et dont elle a feint de ne pouvoir retrouver le nom. On n'a pas ajouté tout à fait foi à cette réponse, et on s'est emparé de l'objet mystérieux, que l'on para?t reconna?tre pour un signe de ralliement révolutionnaire. S'il en est ainsi, j'ai re?u ce signe de la main d'un agent provocateur déguisé en capucin ou capucin pour tout de bon, et je n'aurais pas beau jeu devant le saint-office contre un mouchard de cette espèce.
Ce qui me confirme dans cette pensée, c'est que, deux fois déjà, depuis huit jours que je suis caché ici, j'ai vu ce même moine noir et blanc, que j'avais remarqué dans les ruines de Tusculum, r?der sur le Terrazzone. Ces gens-là entrent partout, et je ne serais pas étonné qu'il e?t fait part de ses méfiances au fermier Felipone, car celui-ci passe de temps en temps sous le casino d'un air inquiet et les yeux attachés sur les balustres, d'où je puis suivre tous ses mouvements. Quant au moine, qui est, je crois, un dominicain ou un individu caché sous le costume de cet ordre, il ne m'a même pas paru examiner le palais. Le plus souvent, il me tournait le dos et semblait contempler le paysage immense que domine la terrasse. Mais peut-être observait-il avec l'oreille, et moi, instinctivement, malgré la hauteur d'où je plongeais sur lui, je retenais ma respiration. J'ai demandé à Daniella si elle l'avait quelquefois rencontré dans les environs. Elle m'a dit ne conna?tre et n'avoir jamais remarqué aucun dominicain en particulier dans les environs.
Je suis environné ici d'êtres beaucoup moins inquiétants que ce moine. Ce sont de petits serpents qui ont des pattes, mais si peu de pattes que je ne puis me décider à les ranger parmi les lézards. Ils courraient mal avec ces rudiments de jambes, s'ils ne rampaient en même temps avec beaucoup de prestesse et de grace. Ce sont de charmants petits animaux tout à fait inoffensifs. J'avais fait connaissance avec eux le jour où j'ai été à Tusculum; le berger Onofrio m'avait appris à les toucher sans crainte. J'ai eu la tentation d'essayer d'en apprivoiser un qui me semblait d'un naturel moins poltron que les autres; mais Daniella, voyant mon go?t pour les bêtes, m'en a amené une plus aimable et plus utile. C'est une belle chèvre blanche qui me donne d'excellent lait et qui me tient compagnie en broutant à mes c?tés pendant que je dessine. Je la soigne comme une personne; et elle para?t se plaire ici, où elle entre jusqu'au ventre dans l'herbe et les fleurs. J'ai, en outre, quatre lapins domestiques dans le parterre, et il est question de m'apporter des oiseaux en cage. Il ne faut pas songer à un chien, cela aboie; ni à des poules, leur voix nous attirerait des amateurs qui monteraient à l'assaut pour les voler.
Les scorpions abondent. Dès qu'on soulève une pierre, on en trouve un ou deux, blottis et engourdis dessous. Ils ne sont pas dangereux en ce temps-ci, et on peut les tuer par milliers; mais personne ne s'occupe de les détruire. Ils ne piquent que lorsqu'on les irrite, et les accidents sont rares, à ce que l'on m'a dit.
Du reste, la rareté des insectes me frappe dans ce pays de jardins. Aujourd'hui, pour la première fois, je vois voler, autour du casino, un papillon qui n'est pas de nos climats. Il est extrêmement joli. Je crois qu'on l'appelle tha?s; mais je n'en suis pas s?r. Je n'ai que la mémoire des yeux. Je connais de vue tout ce qui fleurit ou voltige dans les endroits que j'ai habités quelque temps; je ne retiens aucun nom...
J'en étais là de mon journal lorsque... Mais je suis encore interrompu, et ce qui m'arrive demande un autre chapitre que je vous écrirai demain, si je puis.
XXXI
Mondragone, 24 avril.
Tout en écrivant, avant-hier, je regardais tranquillement le vol mou et comme indécis du papillon tha?s égaré sur les herbes inodores de la muraille. J'étais sur la terrasse du casino, le dos tourné au portique de Vignole, lorsqu'un léger bruit me fit tressaillir et tourner la tête: Tartaglia était debout derrière moi.
--O Brumières, Brumières, pensai-je, vous me l'aviez prédit! nulle part je ne serai à l'abri
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