estrade couverte d'un dais dont on voit encore les pitons d'attache dans la corniche en face des fenêtres. C'est là que brillèrent les beautés célèbres de la cour de Louis XIV, avant que le roi allat s'emprisonner dans les appartements de Mme de Maintenon. C'est là que le président Hénault et le duc de Luynes venaient sans cesse causer avec cette aimable et bonne Marie Leczinska, en qui chacun se plaisait à reconna?tre les vertus d'une bourgeoise, les manières d'une grande dame, la dignité d'une reine. C'est là que Marie-Antoinette, la souveraine à la taille de nymphe, à la marche de déesse, à l'aspect doux et fier digne de la fille des Césars, recevait, avec cet air royal de protection et de bienveillance, avec ce prestige enchanteur dont les étrangers emportaient le souvenir à travers l'Europe comme un éblouissement.
La pièce suivante est, de toutes, celle qui évoque le plus de souvenirs. C'est la chambre à coucher de la reine, la chambre où sont mortes deux souveraines: Marie-Thérèse et Marie Leczinska; deux dauphines: la dauphine de Bavière et la duchesse de Bourgogne;--la chambre où sont nés dix-neuf princes et princesses du sang, et parmi eux deux rois, Philippe V, roi d'Espagne, et Louis XV, roi de France;--la chambre qui, pendant plus d'un siècle, a vu les grandes joies et les suprêmes douleurs de l'ancienne monarchie.
Cette chambre a été occupée par six femmes: d'abord par la vertueuse Marie-Thérèse, qui s'y installa le 6 mai 1682, et y rendit le dernier soupir, le 30 juillet de l'année suivante;--ensuite par la femme du Grand Dauphin, la dauphine de Bavière, qui y mourut le 20 avril 1690, à l'age de vingt-neuf ans; puis par la charmante duchesse de Bourgogne, qui s'y établit dès son arrivée à Versailles, le 8 novembre 1696, y mit au monde trois princes, dont le dernier seul vécut et régna sous le nom de Louis XV, et y mourut le 12 février 1712, à l'age de vingt-six ans;--puis par cette infante d'Espagne, Marie-Anne-Victoire, qui était fiancée avec le jeune roi de France, et qui demeura là, depuis le mois de juin 1722 jusqu'au mois d'avril 1725, époque où le mariage projeté fut rompu; --ensuite par la pieuse Marie Leczincka, qui s'installa dans cette chambre le 1er décembre 1725, y donna naissance à ses dix enfants, y habita pendant un règne de quarante-trois ans, y mourut le 24 juin 1768, entourée de la vénération universelle;--enfin par la plus poétique des femmes, par celle qui résume en elle les triomphes et les humiliations, les joies et les douleurs, par celle dont le nom seul inspire l'attendrissement et le respect, par Marie-Antoinette. C'est là que vinrent au monde ses quatre enfants et qu'elle faillit mourir à la naissance de sa première fille, la future duchesse d'Angoulême. Une antique et bizarre étiquette autorisait le peuple à s'introduire, en pareil cas, dans le palais des rois. La galerie des Glaces, les salons, l'oeil-de-Boeuf, la chambre de la reine, étaient envahis par la foule. Marie-Antoinette, manquant d'air respirable, perdit connaissance pendant trois quarts d'heure. Quand elle revint à elle, Louis XVI lui présenta la princesse qui venait de na?tre:
?Pauvre petite, dit-elle, vous n'étiez pas désirée, mais vous n'en serez pas moins chère. Un fils e?t plus particulièrement appartenu à l'état; vous serez à moi, vous aurez tous mes soins, vous partagerez mon bonheur et vous adoucirez mes peines.?
Ce fut là aussi que virent le jour les deux fils du roi et de la reine martyrs: l'un, né le 22 octobre 1781, mort le 4 juin 1789; l'autre, né le 27 mars 1785, connu sous le nom de duc de Normandie, et qui devait plus tard s'appeler Louis XVII.
Dans cette chambre mémorable à tant de titres, commen?a l'agonie de la royauté fran?aise. Marie-Antoinette y dormait le matin du 6 octobre 1789, quand elle fut réveillée par l'insurrection. Au fond de la chambre, dans le panneau où est actuellement le portrait de la reine par Mme Lebrun, une petite porte conduisait aux appartements du roi. C'est par là que la malheureuse souveraine s'échappa pour aller chercher un refuge auprès de Louis XVI, pendant que les émeutiers assassinaient les gardes du corps. Quelques instants après elle quittait Versailles, qu'elle ne devait jamais revoir. Depuis lors, aucune femme n'occupa les appartements de la reine. Le théatre subsiste, les décors sont à peine modifiés; mais il faut faire sortir de la poussière du temps les acteurs, les actrices surtout.
L'année que j'ai passée dans ces salles encore si pleines de leur souvenir m'a donné la première idée du travail que je publie aujourd'hui. Que de fois j'ai cru apercevoir, comme autant de gracieux fant?mes, les femmes illustres qui ont aimé, qui ont souffert, qui ont pleuré dans ce séjour! Je voudrais me rendre un compte minutieux du r?le qu'elles y ont joué, mentionner
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