avec précision les appartements qu'elles ont habités, montrer en détail l'existence qu'elles menaient, indiquer, pour nous servir d'une expression de Saint-Simon, ce qu'on pourrait appeler la mécanique de la vie de la cour.
Je veux essayer l'histoire du chateau de Versailles lui-même par les femmes qui l'ont habité depuis 1682, époque où Louis XIV y fixa sa résidence, jusqu'au 6 octobre 1789, jour fatal où Louis XVI et Marie-Antoinette le quittèrent sans retour. Le sanctuaire de la monarchie absolue devait être également son tombeau.
Ni les nièces de Mazarin, ni la Grande Mademoiselle, ni les duchesses de La Vallière et de Fontanges, ne doivent être considérées comme des femmes de Versailles. A l'époque où ces héro?nes brillèrent de tout leur éclat, Versailles n'était pas encore la résidence officielle de la cour et le siège du gouvernement.
Nous ne commencerons donc cette étude qu'en 1682, année où Louis XIV, quittant Saint-Germain, son séjour habituel, s'établit définitivement dans sa résidence de prédilection.
Pendant plus d'un siècle,--de 1682 à 1789,--combien de curieuses figures appara?tront sur cette scène radieuse! Que de vicissitudes dans leurs destinées! que de singularités et de contrastes dans leurs caractères! C'est la bonne reine Marie-Thérèse, douce, vertueuse, résignée, se faisant aimer et respecter de tous les honnêtes gens. C'est l'orgueilleuse sultane, la femme à l'esprit étincelant, moqueur, acéré, l'altière, l'omnipotente marquise de Montespan.
C'est la femme dont le caractère est une énigme et la vie un roman, qui a connu tour à tour toutes les extrémités de la mauvaise et de la bonne fortune, et qui, avec plus de rectitude que d'effusion, avec plus de justesse que de grandeur, a eu du moins le mérite de réformer la vie d'un homme dont les passions avaient été divinisées: Mme de Maintenon. C'est la princesse Palatine, la femme de Monsieur, frère du roi, la mère du futur Régent, Allemande enragée, invectivant sa nouvelle patrie, représentant, à c?té de l'apothéose, la satire, exhalant dans ses lettres les colères d'un Alceste en jupon, rustique, mais spirituelle, plus impitoyable, plus caustique, plus passionnée que Saint-Simon lui-même; femme étrange, au style brusque, impétueux, au style qui, comme le dit Sainte-Beuve, a de la barbe au menton, et de qui l'on ne sait trop, quand on le traduit de l'allemand en fran?ais, s'il tient de Rabelais ou de Luther.
C'est la duchesse de Bourgogne, la sylphide, la sirène, l'enchanteresse du vieux roi; la duchesse de Bourgogne, dont la mort précoce fut le signal de l'agonie d'une cour naguère si éblouissante.
Sous Louis XV, c'est la vertueuse, la sympathique Marie Leczinska, le modèle du devoir, qui joue auprès de Louis XV le même r?le respecté, mais effacé que Marie-Thérèse auprès de Louis XIV. C'est l'intrigante, la femme-ministre, la marquise de Pompadour, vraie magicienne, habituée à tous les enchantements, à toutes les féeries du luxe et de l'élégance, mais qui restera toujours une parvenue faite pour l'Opéra plut?t que pour la cour.
Ce sont les six filles de Louis XV, types de piété filiale et de vertu chrétienne: Madame Infante, si tendre pour son père; Madame Henriette, sa soeur jumelle, morte de chagrin à vingt-quatre ans pour ne s'être pas mariée suivant son coeur; Madame Adéla?de et Madame Victoire, inséparables dans l'adversité comme dans les beaux jours; Madame Sophie, douce et timide; Madame Louise, successivement amazone et carmélite, qui, dans le délire de l'agonie, s'écriait: ?Au paradis, vite, vite! Au paradis, au grand galop!?
C'est Mme Dubarry, déguisée en comtesse et destinée par l'ironie du sort à ébranler les bases du tr?ne de saint Louis, de Henri IV, de Louis XIV. Puis après le scandale, sous le règne qui est l'heure de l'expiation, c'est Madame élisabeth, nature angélique et essentiellement fran?aise, montrant, au milieu des plus horribles catastrophes, non seulement du courage, mais de la gaieté; c'est la princesse de Lamballe, gracieuse et touchante héro?ne de l'amitié; c'est Marie-Antoinette, dont le nom seul est plus pathétique que tous les commentaires.
Dans la carrière de ces femmes, que d'enseignements historiques, et aussi que de le?ons de psychologie et de morale! Qui ferait mieux conna?tre la cour, ?ce pays où les joies sont visibles mais fausses, et les chagrins cachés mais réels;? la cour, ?qui ne rend pas content et qui empêche qu'on ne le soit ailleurs[1]!?
[Note 1: La Bruyère, De la Cour.]
Les femmes de Versailles ne nous disent-elles pas toutes: ?La condition la plus heureuse en apparence a ses amertumes secrètes qui en corrompent toute la félicité. Le tr?ne est le siège des chagrins, comme la dernière place; les palais superbes cachent des soucis cruels, comme le toit du pauvre et du laboureur, et, de peur que notre exil ne nous devienne trop aimable, nous y sentons toujours par mille endroits qu'il manque quelque chose à notre bonheur[1].?
[Note 1: Massillon, Sermon sur les afflictions.]
Un portrait de Mignard représente la duchesse de La Vallière avec ses enfants: Mlle de Blois et
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