pauvre innocente, eut comme un réveil de
douleur, en voyant tout le monde se remuer. Elle se jeta au cou de son
père, elle balbutia:
--Papa, j'ai un oiseau qui s'est envolé.
--Un oiseau, ma chérie? Nous le rattraperons.
Et il la caressait, il se faisait très-calin. Mais il fallut qu'il allât, lui aussi,
voir la cage. Quand il ramena l'enfant, Marthe et ses deux fils se
trouvaient déjà dans la salle à manger. Le soleil couchant, qui entrait
par la fenêtre, rendait toutes gaies les assiettes de porcelaine, les
timbales des enfants, la nappe blanche. La pièce était tiède, recueillie,
avec l'enfoncement verdâtre du jardin.
Comme Marthe, calmée par cette paix, ôtait en souriant le couvercle de
la soupière, un bruit se fit dans le corridor. Rose, effarée, accourut, en
bulbutiant:
--Monsieur l'abbé Faujas est là. II
Mouret fit un geste de contrariété. Il n'attendait réellement son locataire
que le surlendemain, au plus tôt. Il se levait vivement, lorsque l'abbé
Faujas parut à la porte, dans le corridor. C'était un homme grand et fort,
une face carrée, aux traits larges, au teint terreux. Derrière lui, dans son
ombre, se tenait une femme âgée qui lui ressemblait étonnamment, plus
petite, l'air plus rude. En voyant la table mise, ils eurent tous les deux
un mouvement d'hésitation; ils reculèrent discrètement, sans se retirer.
La haute figure noire du prêtre faisait une tache de deuil sur la gaieté du
mur blanchi à la chaux.
--Nous vous demandons pardon de vous déranger, dit-il à Mouret. Nous
venons de chez monsieur l'abbé Bourrette; il a dû vous prévenir....
--Mais pas du tout! s'écria Mouret. L'abbé n'en fait jamais d'autres; il a
toujours l'air de descendre du paradis.... Ce matin encore, monsieur, il
m'affirmait que vous ne seriez pas ici avant deux jours.... Enfin, il va
falloir vous installer tout de même. L'abbé Faujas s'excusa. Il avait une
voix grave, d'une grande douceur dans la chute des phrases. Vraiment,
il était désolé d'arriver à un pareil moment. Quand il eut exprimé ses
regrets, sans bavardage, en dix paroles nettement choisies, il se tourna
pour payer le commissionnaire qui avait apporté sa malle. Ses grosses
mains bien faites tirèrent d'un pli de sa soutane une bourse, dont on
n'aperçut que les anneaux d'acier; il fouilla un instant, palpant du bout
des doigts, avec précaution, la tête baissée. Puis, sans qu'on eût vu la
pièce de monnaie, le commissionnaire s'en alla. Lui, reprit de sa voix
polie:
--Je vous en prie, monsieur, remettez-vous à table.... Votre domestique
nous indiquera l'appartement. Elle m'aidera à monter ceci.
Il se baissait déjà pour prendre une poignée de la malle. C'était une
petite malle de bois, garantie par des coins et des bandes de tôle; elle
paraissait avoir été réparée, sur un des flancs, à l'aide d'une traverse de
sapin. Mouret resta surpris, cherchant des yeux les autres bagages du
prêtre; mais il n'aperçut qu'un grand panier, que la dame âgée tenait à
deux mains, devant ses jupes, s'entêtant, malgré la fatigue, à ne pas le
poser à terre. Sous le couvercle soulevé, parmi des paquets de linge,
passaient le coin d'un peigne enveloppé dans du papier, et le cou d'un
litre mal bouché.
--Non, non, laissez cela, dit Mouret en poussant légèrement la malle du
pied. Elle ne doit pas être lourde; Rose la montera bien toute seule.
Il n'eut sans doute pas conscience du secret dédain qui perçait dans ses
paroles. La dame âgée le regarda fixement de ses yeux noirs; puis, elle
revint à la salle à manger, à la table servie, qu'elle examinait depuis
qu'elle était là. Elle passait d'un objet à l'autre, les lèvres pincées. Elle
n'avait pas prononcé une parole. Cependant, l'abbé Faujas consentit à
laisser la malle. Dans la poussière jaune du soleil qui entrait par la porte
du jardin, sa soutane râpée semblait toute rouge; des reprises en
brodaient les bords; elle était très-propre, mais si mince, si lamentable,
que Marthe, restée assise jusque-là avec une sorte de réserve inquiète,
se leva à son tour. L'abbé, qui n'avait jeté sur elle qu'un coup d'oeil
rapide, aussitôt détourné, la vit quitter sa chaise, bien qu'il ne parût
nullement la regarder.
--Je vous en prie, répéta-t-il, ne vous dérangez pas; nous serions désolés
de troubler votre dîner.
--Eh bien! c'est cela, dit Mouret qui avait faim. Rose va vous conduire.
Demandez-lui tout ce dont vous aurez besoin.... Installez-vous,
installez-vous à votre aise.
L'abbé Faujas, après avoir salué, se dirigeait déjà vers l'escalier, lorsque
Marthe s'approcha de son mari, en murmurant:
--Mais, mon ami, tu ne songes pas....
--Quoi donc? demanda-t-il, voyant qu'elle hésitait.
--Les fruits, tu sais bien.
--Ah! diantre! c'est vrai, il y a les fruits, dit-il d'un ton consterné. Et,
comme l'abbé Faujas revenait, l'interrogeant du regard:
--Je suis vraiment bien contrarié, monsieur, reprit-il. Le
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