La Conquete de Plassans | Page 8

Emile Zola
contre l'oreiller.
--Mais que mangeaient-ils?
--Je ne sais pas au juste, monsieur. ?a m'a paru un reste de pat��, dans un journal. Ils avaient aussi des pommes, des petites pommes de rien du tout.
--Et ils causaient, n'est-ce pas? Vous avez entendu ce qu'ils disaient?
--Non, monsieur, ils ne causaient pas.... Je suis rest��e un bon quart d'heure �� les regarder. Ils ne disaient rien, pas ?a, tenez! Ils mangeaient, ils mangeaient! Marthe s'��tait lev��e, r��veillant D��sir��e, faisant mine de monter; la curiosit�� de son mari la blessait. Celui-ci se d��cida enfin �� se lever ��galement; tandis que la vieille Rose, qui ��tait d��vote, continuait d'une voix plus basse:
--Le pauvre cher homme devait avoir joliment faim.... Sa m��re lui passait les plus gros morceaux et le regardait avaler avec un plaisir.... Enfin, il va dormir dans des draps bien blancs. A moins que l'odeur des fruits ne l'incommode. C'est que ?a ne sent pas bon dans la chambre; vous savez, cette odeur aigre des poires et des pommes. Et pas un meuble, rien que le lit dans un coin. Moi, j'aurais peur, je garderais la lumi��re toute la nuit.
Mouret avait pris son bougoir. Il resta un instant debout devant Rose, r��sumant la soir��e dans ce mot de bourgeois tir�� de ses id��es accoutum��es:
--C'est extraordinaire.
Puis, il rejoignit sa femme au pied de l'escalier. Elle ��tait couch��e, elle dormait d��j��, qu'il ��coutait encore les bruits l��gers qui venaient de l'��tage sup��rieur. La chambre de l'abb�� ��tait juste au-dessus de la sienne. Il l'entendit ouvrir doucement la fen��tre, ce qui l'intrigua beaucoup. Il leva la t��te de l'oreiller, luttant d��sesp��r��ment contre le sommeil, voulant savoir combien de temps le pr��tre resterait �� la fen��tre. Mais le sommeil fut le plus fort; Mouret ronflait �� poings ferm��s, avant d'avoir pu saisir de nouveau le sourd grincement de l'espagnolette.
En haut, �� la fen��tre, l'abb�� Faujas, t��te nue, regardait la nuit noire. Il demeura longtemps l��, heureux d'��tre enfin seul, s'absorbant dans ces pens��es qui lui mettaient tant de duret�� au front. Sous lui, il sentait le sommeil tranquille de cette maison o�� il ��tait depuis quelques heures, l'haleine pure des enfants, le souffle honn��te de Marthe, la respiration grosse et r��guli��re de Mouret. Et il y avait un m��pris dans le redressement, de son cou de lutteur, tandis qu'il levait la t��te comme pour voir au loin, jusqu'au fond de la petite ville endormie. Les grands arbres du jardin de la sous-pr��fecture faisaient une masse sombre, les poiriers de M. Rastoil allongeaient des membres maigres et tordus; puis, ce n'��tait plus qu'une mer de t��n��bres, un n��ant, dont pas un bruit ne montait. La ville avait une innocence de fille au berceau.
L'abb�� Faujas tendit les bras d'un air de d��fi ironique, comme s'il voulait prendre Plassans pour l'��touffer d'un effort contre sa poitrine robuste. Il murmura:
--Et ces imb��ciles qui souriaient, ce soir, en me voyant traverser leurs rues!

III
Le lendemain, Mouret passa la matin��e �� ��pier son nouveau locataire. Cet espionnage allait emplir les heures vides qu'il passait au logis �� tatillonner, �� ranger les objets qui tra?naient, �� chercher des querelles �� sa femme et �� ses enfants. D��sormais, il aurait une occupation, un amusement, qui le tirerait de sa vie de tous les jours. Il n'aimait pas les cur��s, comme il le disait, et le premier pr��tre qui tombait dans son existence l'int��ressait �� un point extraordinaire. Ce pr��tre apportait chez lui une odeur myst��rieuse, un inconnu presque inqui��tant. Bien qu'il f?t l'esprit fort, qu'il se d��clarat voltairien, il avait en face de l'abb�� tout un ��tonnement, un frisson de bourgeois, o�� per?ait une pointe de curiosit�� gaillarde.
Pas un bruit ne venait du second ��tage. Mouret ��couta attentivement dans l'escalier, il se hasarda m��me �� monter au grenier. Comme il ralentissait le pas en longeant le corridor, un fr?lement de pantoufles qu'il crut entendre derri��re la porte, l'��motionna extr��mement. N'ayant rien pu surprendre de net, il descendit au jardin, se promena sous la tonnelle du fond, levant les yeux, cherchant �� voir par les fen��tres ce qui se passait dans les pi��ces. Mais il n'aper?ut pas m��me l'ombre de l'abb��. Madame Faujas, qui n'avait sans doute point de rideaux, avait tendu, en attendant, des draps de lit derri��re les vitres.
Au d��jeuner, Mouret parut tr��s-vex��.
--Est-ce qu'ils sont morts, l��-haut? dit-il en coupant du pain aux enfants. Tu ne les as pas entendus remuer, toi, Marthe?
--Non, mon ami; je n'ai pas fait attention.
Rose cria de la cuisine:
--Il y a beau temps qu'ils ne sont plus l��; s'ils courent toujours, ils sont loin.
Mouret appela la cuisini��re et la questionna minutieusement.
--Ils sont sortis, monsieur: la m��re d'abord, le cur�� ensuite. Je ne les aurais pas vus, tant ils marchent doucement, si leurs ombres n'avaient pass�� sur le carreau de ma cuisine, quand ils ont ouvert la porte.... J'ai regard�� dans la rue,
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