grec. Bon chat, bon rat.--C'est le Talion de la Loi de Mo?se.
On me donne de l'Altesse. Je suis moins, et peut-être plus; on peut m'appeler Monseigneur, ou mieux, Monsieur de Talleyrand.
J'ai vu treize gouvernements: Louis XV, Louis XVI, la Révolution, la République, le Directoire, le Consulat, l'Empire et les Cent-Jours, le Gouvernement provisoire de 1814, les deux Restaurations, Charles X, et Louis-Philippe, qui me regardait comme un augure. Je me donnai le plaisir de lui dire: ?Hé! hé! Sire, c'est le treizième.? Et je comptais bien ne pas rester sur ce vilain nombre.
Quelque temps avant, j'avais rencontré le général d'Andigné dans un salon, et comme nous échangions quelques souvenirs du temps jadis, on ne disait plus le bon temps, je lui demandai combien de fois il avait été en prison.
--Douze fois.
--C'est précisément le nombre de mes serments; c'est étonnant comme les choses se rencontrent.
Le serment engage les actes et n'engage pas les convictions. C'est une contremarque qu'on prend dans une salle de spectacle afin de pouvoir y rentrer. L'homme absurde est celui qui ne change jamais. Renier une erreur, est-ce une apostasie? Toujours la même tige avec une autre fleur. Le Caméléon est l'emblème de la politique. La Diplomatie a pour devise le Stylo et Gladio des Commentaires de César. Je préférerais une Clef, ou la devise de Ninon: Une Girouette: ?Ce n'est pas elle qui change, c'est le vent.? Toutefois il ne faut pas prendre la Girouette pour une boussole et la Rose des vents pour un tourniquet.
J'ai rendu à César ce qui était à la République et à Louis ce qui était à César. Je ne demande pas de compliment; mais si j'ai servi les pouvoirs sans m'attacher et sans me dévouer, j'ai servi la France sans sacrifier ses intérêts aux gouvernements qui lui donnaient leur étiquette, comme je l'écrivais à Montalivet:
?Ma politique a toujours été fran?aise, nationale et raisonnable, selon la nécessité des temps, et j'ai été fidèle aux personnes aussi longtemps qu'elles ont obéi au sens commun. Si vous jugez toutes mes actions à la lumière de cette règle, vous verrez que, malgré les apparences, on n'y trouvera aucune contradiction et que j'ai toujours été conséquent.?
Les rois changent de ministres, j'ai changé de rois.
J'ai toujours tenu mes affaires en ordre et mes comptes en règle, Doit et Avoir, c'est de principe. Je ne répondrai pas comme ce ministre à qui on demandait: ?Pardonnez-vous à vos ennemis?--Je n'en ai plus, je les ai tous fait fusiller.? Malgré tout, je ne suis pas en reste avec eux; chaque chose sera dite ici, en son lieu et à son heure. Mais ce n'est pas quand la pièce se joue et que les acteurs sont encore sur la scène qu'il convient d'exposer l'action, de démêler l'intrigue et de démasquer les personnages dont le masque est mieux que leur visage. Aujourd'hui la vérité serait dangereuse pour quelques-uns, scandaleuse pour d'autres, inutile pour tout le monde.
Mes Mémoires suffiront. Il me semble que ma voix est un dernier écho qui résonnera avec une vibration tombale dans la sonorité du vide. Alors le rideau sera tombé sur les comédies sinistres et les tragédies ridicules. On écoutera sans passion ces histoires devenues légendaires dont les acteurs et les témoins auront disparu.
Je prévois les jugements auxquels je dois m'attendre des générations qui suivront la mienne. Je me suis amusé à revivre ma vie politique, et on ne manquera pas de dire que c'est une oeuvre de patience--pour les lecteurs,--quand on mettra au jour cette solennelle et suprême mystification.
Pour moi, je ne crains ni les pamphlétaires, ni les imbéciles, et on sait quel cas je fais de l'opinion. Je suis un vieux parapluie sur lequel il pleut depuis un demi-siècle, et quelques gouttes de plus ou de moins ne me font rien.
J'ai un orgueil à moi qui me met au-dessus des hommes et des événements, du malheur même, une insensibilité qui me rend invulnérable du c?té du coeur. Il n'appartient à personne de m'humilier et de me faire souffrir. Cet orgueil et cette insensibilité m'ont préservé de la vanité et du sentiment pendant ma vie, et quand on est mort, on n'entend pas sonner les cloches. Ainsi soit-il.
MON BRéVIAIRE
Principes Et Maximes.
On a fait de moi un diseur de bons mots. Je n'ai jamais dit un bon mot de ma vie; mais je tache de dire, après m?re réflexion, sur beaucoup de choses, le mot juste.
Je ne puis accepter cette réputation de faiseur de Nouvelles à la main au gros sel plus ou moins attique, telles que le Mercure du dix-neuvième siècle les a recueillies dans le Talleyrandana et l'Album perdu. Il e?t été plus simple de les ajouter à un ouvrage que j'ai sur ma table et que je m'amuse souvent à feuilleter: L'Improvisateur, Recueil d'anecdotes et de bons mots, en 21 volumes in-12. C'est un Répertoire
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