lui demandez rien, bient?t vous ne saurez comment l'arrêter, et il bavardera comme une vieille commère.? à la bonne heure, voilà qui est franchement dit; mais je me permettrai de citer l'opinion de Dumont, qui écrivait à madame R. que j'étais ?délicieux en voyage dans le petit espace carré d'une voiture fermée.?
Si ces notes étaient seulement destinées à me raconter, je les mettrais au jour; mais je n'en recueillerai ni la louange ni l'injure, et je n'ai jamais été mon propre thuriféraire.
Cependant ce n'est point sans une secrète satisfaction que je donnerais la clef de l'énigme de ma vie. Si l'hypocrisie venait à mourir, la modestie devrait prendre au moins le petit deuil.
Un doute m'arrête. Si je dis la vérité, qui voudra me croire? J'ai eu plus d'une fois l'occasion d'en faire l'expérience, et je songe à l'exorde du discours de Tibère au sénat romain: ?Dois-je le dire? Comment le dire? Pourquoi le dire??
Ma vie, au cours d'une longue carrière fournie jusqu'au bout sans arrêt, sans trêve, sans repos, agitée par une série ininterrompue de révolutions, a été si intimement liée aux événements que ma biographie sera la Chronique de l'Europe, et il est à remarquer que les événements historiques étonnent plus ceux qui les lisent que ceux qui en ont été les témoins, comme les souvenirs émeuvent davantage que les faits. Mais ce monde est un cercle vicieux; tout finit et tout recommence; on jouera toujours la même pièce, en politique comme en amour, avec d'autres décors et d'autres personnages. Les hommes et les choses ont changé avec moi depuis le temps où j'avais toutes mes plumes; j'en ai laissé un peu partout, des blanches et des noires, et il ne m'en reste plus guère qu'une pour en parler. Malgré tout, je ne me plaindrais pas d'avoir des souliers percés si j'avais les jambes d'aplomb, de manquer de pain si j'avais de l'appétit, d'être sans un sou vaillant si l'avenir était devant moi; enfin je ne me plaindrais de rien ni de personne si je n'avais passé le temps d'aimer.
Plutarque jugeait les hommes illustres, non d'après les actes de leur vie publique, où ils jouent un r?le comme des comédiens sur le théatre, mais d'après les faits de leur existence journalière, où ils se montrent tels qu'ils sont. C'est ainsi que je me raconterai et que je raconterai les autres, en cicérone impartial d'une galerie où je figure dans une compagnie un peu mêlée, et où il convient de placer chaque portrait à sa place dans le cadre des événements qui vont se dérouler comme un tableau panoramique.
Voici le mien:
Ce jeune abbé de vingt ans est très élégant dans son petit collet; sa figure, sans être belle, est singulièrement attrayante par sa physionomie douce, impudente et spirituelle.
La miniature d'Isabey reproduit assez bien ce portrait à la plume de Madame du Barry.
Mon vrai portrait est celui où j'ai la perruque frisée, les yeux clairs, le nez pointu et retroussé, la lèvre plissée, et le menton sur la dentelle du jabot. C'est moi, Satanas[1].
[Note 1: Rien en lui n'était flatteur: une face morte, sans grimace ni sourire, livide et marbrée de taches, sur laquelle se détachaient des sourcils touffus ombrageant le regard per?ant de ses yeux gris, le nez en pointe insolemment retroussé, la lèvre inférieure avan?ant et débordant sur la supérieure, et sa petite figure semblait encore diminuée sous la perruque frisée. Comme il avait maché beaucoup de mépris, il s'en était imprégné et l'avait placé dans les deux coins pendants de sa bouche. Talleyrand avait la physionomie morale de son portrait.]
Je sais à peu près ce qu'on pourra dire de moi dans un éloge académique. Les opinions des cours, des salons et des journaux méritent d'être recueillies à titre de matériaux pour cette oraison funèbre:
Le dernier Représentant du dix-huitième siècle. Le Patriarche de la politique. Le Vétéran de la diplomatie. Le Bourreau de l'Europe. Le Singe de Mazarin. Le Sosie du Cardinal Dubois. L'Abbé malgré lui. L'évêque pour rire. Le Batard de Voltaire. La Demi-voix de Mirabeau. ésope en habit de cour. L'Ambassadeur du Diable boiteux. Le Moutardier du Pape. Le Champion de l'Angleterre. L'Impresario de Napoléon. Le Cicérone d'Alexandre. L'évangéliste de la Restauration. Le Porte-parapluie de Louis-Philippe, etc.
Mes patrons sont illustres, et le dilemme de Saint Charles Borromée aux évêques aura toujours son application:
?Aut pares, aut impares: Si vous êtes capables, pourquoi êtes-vous négligents; si vous êtes incapables, pourquoi êtes-vous ambitieux??
ARMES: De gueules à trois Lions d'or lampassés, armés et couronnés d'azur, la couronne de prince sur l'écu et la couronne ducale sur le manteau.
DEVISE DE FAMILLE: Re que Diou.
Il n'y a de roi que Dieu. Dieu seul est roi. Dieu est le Roi des Rois.
?Rien que Dieu?, serait une interprétation erronée.
MA DEVISE: Par pari refertur.
La pareille rendue par la pareille.--OEil pour oeil, dent pour dent. à latin
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