du coup sa roulade et ses ailes.
Trop jeune pour être charmé du paysage, déroulé sous ses yeux, il avait subi pourtant la majesté de cette montée du fleuve entre deux horizons fuyants.
La mère Louveau, qui le voyait sauvage et taciturne, répétait du matin au soir:
?Il est sourd-muet!?
Non, il n'était pas muet, le petit Parisien du faubourg du Temple!
Quand il eut bien compris qu'il ne rêvait pas, qu'il ne retournerait plus dans sa mansarde, et que malgré les menaces de la mère Louveau, on n'avait plus grand chose à craindre du commissaire, sa langue se délia.
Ce fut l'épanouissement d'une fleur de cave, que l'on porterait sur une croisée.
Il cessa de se blottir dans les coins avec une sauvagerie de furet traqué.
Ses yeux enfoncés sous son front bombé perdirent leur mobilité inquiète, et, bien qu'il restat palot et de mine réfléchie, il apprit à rire avec Clara.
La fillette aimait passionnément son camarade, comme on aime à cet age-là, pour le plaisir de se quereller et de se raccommoder.
Bien qu'elle f?t têtue comme une petite bourrique, elle avait un coeur très tendre, et il suffisait de parler du commissaire pour la faire obéir.
On était à peine arrivé à Corbigny qu'une nouvelle soeur vint au monde.
Mimile avait tout juste dix-huit mois, et cela fit bien des berceaux dans la cabine, bien de la besogne aussi; car, avec toutes les charges que l'on avait, il n'était pas possible de payer une servante.
La mère Louveau bougonnait à faire trembler la jambe de bois de l'équipage.
Personne ne la plaignait dans le pays. Même, les paysans ne se gênèrent pas pour dire leur fa?on de penser à M. le curé qui proposait le marinier pour exemple.
?Tout ce que vous voudrez, monsieur le curé, ?a n'a pas de bon sens, quand on a trois enfants à soi, d'aller ramasser ceux des autres.
?Mais les Louveau ont toujours été comme cela.?
?C'est la gloriole qui les tient, et tous les conseils qu'on leur donnera ne les changeront pas.?
On ne leur souhaitait pas de mal, mais on n'aurait pas été faché qu'ils re?ussent une le?on.
M. le curé était un brave homme sans malice, qui devenait aisément de l'avis des autres, et finissait par se rappeler un passage de l'écriture ou des Pères pour se rassurer lui-même sur ses revirements.
?Mes paroissiens ont raison, se disait-il en passant la main sous son menton mal rasé.
?Il ne faut pas tenter la divine Providence.?
Mais, comme à tout prendre, les Louveau étaient de braves gens, il leur fit, à l'ordinaire, sa visite pastorale.
Il trouva la mère taillant des culottes pour Victor dans une vieille vareuse, car le mioche était arrivé sans bagage et la ménagère ne pouvait souffrir des loques autour d'elle.
Elle donna un banc à M. le curé, et comme il lui parlait de Victor, insinuant que, peut-être, avec la protection de Monseigneur, on pourrait le faire entrer à l'orphelinat d'Autun, la mère Louveau, qui avait son franc-parler avec tout le monde, répondit brusquement:
?Que le petit soit une charge pour nous autres, ?a c'est s?r, monsieur le curé; m'est avis que, en me l'apportant, Fran?ois a prouvé une fois de plus qu'il n'était pas un aigle.
?Je n'ai pas le coeur plus dur que le père; si j'avais rencontré Victor, ?a m'aurait fait de la peine, pourtant je l'aurais laissé où il était.
?Mais maintenant qu'on l'a pris, ce n'est pas pour s'en défaire, et, si, un jour, nous nous trouvons dans l'embarras à cause de lui, nous n'irons pas demander la charité à personne.?
A ce moment Victor entra dans la cabine, portant Mimile à son cou.
Le marmot, furieux d'avoir été sevré, se vengeait en refusant de poser le pied à terre.
Il faisait ses dents et mordait le monde.
ému de ce spectacle, M. le curé étendit la main sur la tête de l'enfant trouvé, et dit solennellement:
?Dieu bénit les grandes familles.?
Et il s'en alla, enchanté d'avoir trouvé dans ses souvenirs une sentence si appropriée à la situation.
Elle n'avait pas menti, la mère Louveau, en disant que Victor était maintenant de la famille.
Tout en bougonnant, tout en parlant sans cesse de reporter le petit chez le commissaire, la femme de tête s'était attachée au pauvre palot qui ne quittait pas ses jupes.
Quand Louveau trouvait qu'on en faisait trop, elle répondait invariablement:
?Il ne fallait pas le prendre.?
Dès qu'il eut sept ans, elle l'envoya à l'école avec Clara.
C'était toujours Victor qui portait le panier et les livres.
Il se battait vaillamment pour défendre le go?ter contre l'appétit sans scrupules des jeunes Morvandiaux.
Il n'avait pas moins de courage au travail qu'à la bataille, et, bien qu'il ne suivit l'école qu'en hiver, quand on ne naviguait pas, il en savait plus, à son retour, que les petits paysans, lourds et bruyants comme leurs sabots, qui baillaient douze mois de suite sur l'abécédaire.
Victor et Clara revenaient de l'école par la forêt.
Les deux enfants s'amusaient à regarder
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