percé comme mon écumoire!
?Et il faut encore que tu t'amuses à ramasser les enfants des autres dans les ruisseaux.?
Il s'était déjà dit tout cela, le pauvre homme.
Il ne songeait pas à protester.
Il baissait la tête comme un condamné qui entend le réquisitoire.
?Tu vas me faire le plaisir de reporter cet enfant-là au commissaire de police.
?S'il fait des fa?ons pour le reprendre, tu lui diras que ta femme ne veut pas.
?Est-ce compris??
Elle marchait sur lui, son poêlon à la main, avec un geste mena?ant.
Le marinier promit tout ce qu'elle voulut.
?Voyons, ne te fache pas.
?J'avais cru bien faire.
?Je me suis trompé.
??a suffit.
?Faut-il le ramener tout de suite??
La soumission du bonhomme adoucit la mère Louveau. Peut-être aussi eut-elle la vision d'un de ses enfants à elle perdu tout seul dans la nuit, la main tendue vers les passants.
Elle se détourna pour mettre son poêlon sur le feu et dit d'un ton bourru:
?Ce n'est pas possible ce soir, le bureau est fermé.
?Et maintenant que tu l'as pris, tu ne peux pas le reporter sur le trottoir.
?On le gardera cette nuit, mais demain matin...?
Et la mère Louveau était si en colère qu'elle tisonnait le feu à tour de bras...
?Mais demain matin, je te jure bien que tu m'en débarrasseras!?
Il y eut un silence.
La ménagère mettait le couvert brutalement, heurtant les verres, jetant les fourchettes.
Clara, effrayée, se tenait coite dans un coin.
Le bébé grognait sur le lit, et l'enfant trouvé regardait avec admiration rougir la braise.
Lui qui n'avait peut-être jamais vu de feu depuis qu'il était né!
Ce fut bien une autre joie quand il se trouva à table, une serviette au cou, un monceau de pommes de terre dans son assiette.
Il avalait comme un rouge-gorge à qui l'on émiette du pain un jour de neige.
La mère Louveau le servait rageusement, au fond un brin touchée par cet appétit d'enfant maigre.
La petite Clara, ravie, le flattait avec sa cuillère.
Louveau, consterné, n'osait plus lever les yeux.
La table desservie, ses enfants couchés, la mère Louveau s'assit près du feu, le petit entre les genoux, pour lui faire un peu de toilette.
?On ne peut pas le coucher, sale comme il est.
?Je parie qu'il n'a jamais vu ni l'éponge ni le peigne.?
L'enfant tournait comme une toupie entre ses mains.
Vraiment, une fois lavé et démêlé, il n'avait pas trop laide mine, le pauvre petit gosse, avec son nez rose de caniche et ses mains rondes comme des pommes d'api.
La mère Louveau considérait son oeuvre avec une nuance de satisfaction.
?Quel age peut-il avoir??
Fran?ois posa sa pipe, enchanté de rentrer en scène.
C'était la première fois qu'on lui parlait de la soirée, et une question valait presque un retour en grace.
Il se leva, tira ses ficelles de sa poche.
?Quel age, hé! hé! On va te dire ?a.?
Il prit le marmot à bras le corps.
Il l'entortilla de ses cordes comme les arbres de Clamecy.
La mère Louveau le regardait avec stupéfaction.
?Qu'est-ce que tu fais donc?
--Je prends la mesure, bédame!?
Elle lui arracha la corde des mains, et la jeta à l'autre bout de la chambre.
?Mon pauvre homme, que tu es bête avec tes manies!
?Un enfant n'est pas un baliveau.?
Pas de chance ce soir, le malheureux Fran?ois!
Il bat en retraite, tout penaud, tandis que la mère Louveau couche le petit dans le dodo de Clara.
La fillette sommeille les poings fermés, tenant toute la place.
Elle sent vaguement que l'on glisse quelque chose à c?té d'elle, étend les bras, refoule son voisin dans un coin, lui fourre les coudes dans les yeux, se retourne et se rendort.
Maintenant on a soufflé la lampe.
La Seine, qui clapote autour du bateau, balance tout doucement la maison de planches.
Le petit enfant perdu sent une douce chaleur l'envahir, et il s'endort avec la sensation inconnue de quelque chose comme une main caressante qui a passé sur sa tête, lorsque ses yeux se fermaient.
CHAPITRE II
LA BELLE-NIVERNAISE.
Mlle Clara se réveillait toujours de bonne heure.
Elle fut tout étonnée, ce matin-là, de ne pas voir sa mère dans la cabine et de trouver cette autre tête à c?té d'elle sur l'oreiller.
Elle se frotta les yeux avec ses petits poings, prit son camarade de lit par les cheveux et le secoua.
Le pauvre Totor se réveilla au milieu des supplices les plus bizarres, tourmenté par des doigts malins qui lui chatouillaient le cou et l'empoignaient par le nez.
Il promena autour de lui des yeux surpris, et fut tout étonné de voir que son rêve durait toujours.
Au-dessus d'eux, des pas craquaient.
On débarquait des planches sur le quai, avec un bruit sourd.
Mlle Clara semblait fort intriguée.
Elle éleva le petit doigt en l'air et montra le plafond à son ami avec un geste qui voulait dire:
?Qu'est-ce que c'est que ?a??
C'était la livraison qui commen?ait. Dubac, le menuisier de la Villette, était arrivé à six heures, avec son cheval et sa charrette, et le père Louveau s'était mis à la besogne, d'un entrain qu'on ne lui
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.