demanda:
?Que ferez-vous de cet enfant-là?
--Pas un rentier, pour s?r. Il n'y a jamais eu de rentier dans la famille. Mais un marinier, un brave gar?on de marinier, comme les autres.
--Vous avez des enfants?
--Si j'en ai! Une qui marche, une qui tette et un qui vient. Pas trop mal, n'est-ce pas, pour un homme qui n'est pas un aigle? Avec celui-là ?a fera quatre, mais bah! quand il y en a pour trois, il y en a pour quatre. On se tasse un peu. On serre sa ceinture, et on tache de vendre son bois plus cher.?
Et ses boucles d'oreilles remuaient, secouées par son gros rire, tandis qu'il promenait un regard satisfait sur les assistants.
On poussa devant lui un gros livre.
Comme il ne savait pas écrire, il fit une croix, au bas de la page.
Puis le commissaire lui remit l'enfant trouvé.
?Emmenez le petit, Fran?ois Louveau, et élevez-le bien. Si j'apprends quelque chose à son sujet, je vous tiendrai au courant. Mais il n'est pas probable que ses parents le réclament jamais. Quant à vous, vous m'avez l'air d'un brave homme, et j'ai confiance en vous. Obéissez toujours à votre femme. Et au revoir! Ne buvez pas trop de vin blanc.?
La nuit noire, le brouillard froid, la presse indifférente des gens qui se hatent de rentrer chez eux, tout cela est fait pour dégriser vivement un pauvre homme.
A peine dans la rue, seul avec son papier timbré en poche et son protégé par la main, le marinier sentit tout d'un coup tomber son enthousiasme; et l'énormité de son action lui apparut.
Il serait donc toujours le même?
Un niais? Un glorieux?
Il ne pouvait point passer son chemin comme les autres, sans se mêler de ce qui ne le regardait pas.
Il voyait d'ici la colère de la mère Louveau!
Quel accueil, bonnes gens, quel accueil!
C'est terrible une femme de tête pour un pauvre homme qui a le coeur sur la main.
Jamais il n'oserait rentrer chez lui.
Il n'osait pas non plus retourner chez le commissaire.
Que faire? Que faire?
Ils cheminaient dans le brouillard.
Louveau gesticulait, parlait seul, préparait un discours.
Victor tra?nait ses souliers dans la crotte.
Il se faisait tirer comme un boulet.
Il n'en pouvait plus.
Alors le père Louveau s'arrêta, le prit à son cou, l'enveloppa dans sa vareuse.
L'étreinte des petits bras serrés lui rendit un peu de courage.
Il reprit son chemin.
Ma foi, tant pis! il risquerait le paquet.
Si la mère Louveau les mettait à la porte, il serait temps de reporter le marmot à la police; mais peut-être bien qu'elle le garderait pour une nuit, et ce serait toujours un bon d?ner de gagné.
Ils arrivaient au pont d'Austerlitz, où la Belle-Nivernaise était amarrée.
L'odeur fade et douce des chargements de bois frais emplissait la nuit.
Toute une flottille de bateaux grouillait dans l'ombre de la rivière.
Le mouvement du flot faisait vaciller les lanternes et grincer les cha?nes entre-croisées.
Pour rejoindre son bateau, le père Louveau avait à traverser deux chalands reliés par des passerelles.
Il avan?ait à pas craintifs, les jambes flageolantes, gêné par l'enfant qui lui étranglait le cou.
Comme la nuit était noire!
Seule une petite lampe étoilait la vitre de la cabine, et une raie lumineuse, qui filtrait sous la porte, animait le sommeil de la Belle-Nivernaise.
On entendait la voix de la mère Louveau qui grondait les enfants en surveillant sa cuisine.
?Veux-tu finir Clara??
Il n'était plus temps de reculer.
Le marinier poussa la porte.
La mère Louveau lui tournait le dos, penchée sur le poêlon, mais elle avait reconnu son pas et dit sans se déranger:
?C'est toi, Fran?ois? Comme tu rentres tard!?
Les pommes de terre sautaient dans la friture crépitante et la vapeur qui s'envolait de la marmite vers la porte ouverte troublait les vitres de la cabine.
Fran?ois avait posé le marmot par terre, et le pauvre mignon, saisi par la tiédeur de la chambre, sentait se déraidir ses petits poings rougis.
Il sourit et dit d'une voix un peu fl?tée:
?Fait chaud...?
La mère Louveau se retourna.
Et montrant à son homme l'enfant déguenillé debout au milieu de la chambre, elle cria d'un ton courroucé.
?Qu'est-ce que c'est que ?a??
Non! Il y a de ces minutes, dans les meilleurs ménages.
?Une surprise, hé! hé! une surprise!?
Le marinier riait jusqu'aux oreilles pour se donner une contenance; mais il aurait bien voulu être encore dans la rue.
Et comme sa femme, attendant une explication, le regardait d'un air terrible, il bégaya l'histoire tout de travers, avec des yeux suppliants de chien qu'on menace.
Ses parents l'avaient abandonné, il l'avait trouvé pleurant sur le trottoir.
On avait demandé:
?Qu'est-ce qui en veut??
Il avait répondu:
?Moi.?
Et le commissaire lui avait dit:
?Emportez-le.
--Pas vrai, petit??
Alors la mère Louveau éclata:
?Tu es fou, ou tu as trop bu! A-t-on jamais entendu parler d'une bêtise pareille?
?Tu veux donc nous faire mourir dans la misère?
?Tu trouves que nous sommes trop riches?
?Que nous avons trop de pain à manger? Trop de place pour coucher??
Fran?ois considérait ses souliers sans répondre.
?Mais, malheureux, regarde-toi, regarde-nous! Ton bateau est
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