car Pellissery
et Linguet ne furent ni mieux ni plus mal traités que les autres
prisonniers de ce temps.
Remontons maintenant au règne de Louis XIV et terminons par le récit
d'un acte de basse monstruosité.
Après la révocation de l'édit de Nantes (1685)[8], les persécutions
religieuses commencèrent. On enferma nombre de huguenots à
Vincennes, au Châtelet, à la Bastille.
[Note 8: Sous cette dénomination, on désigne un acte par lequel Louis
XIV enleva aux protestants la liberté de conscience qui leur avait été
accordée par Henri IV en 1598. Les conséquences de cet acte furent
désastreuses: 230,000 protestants quittèrent la France, emportant à
l'étranger, non seulement, les secrets de notre industrie, mais encore
cette intrépidité, cette valeur militaire qui fut toujours l'apanage de la
France.
Un grand nombre d'entre eux se réfugièrent en Allemagne et chaque
fois que leurs fils vinrent en France à la tête des bataillons prussiens, ils
nous firent cruellement payer le séjour de ces missionnaires bottés que
leurs ancêtres durent loger au nom du roi. Ces missionnaires firent
cependant l'admiration de Mme de Sévigné:
«Les Dragons, écrivait-elle le 28 octobre 1685, ont été très bons
missionnaires,» et en parlant de l'édit de révocation:
«Rien n'est si beau que se qu'il contient; jamais aucun roi n'a fait ni ne
fera rien de plus mémorable.»
Et le vieux Le Tellier ne comprit pas qu'il signait un des plus grands
malheurs de la France.]
L'un d'eux, Jean Cardel (de Tours) resta dix-neuf ans dans les cachots
de Vincennes, chargé de fers et accablé de coups par ordre du
gouverneur, le sieur Bernaville, auquel la Reynie (Lieutenant général
de police) avait recommandé ce prisonnier: «Faites tous vos efforts, lui
avait-il dit, afin de convertir M. Cardel, pour qui j'ai une considération
toute particulière.» Bernaville, qui prenait les conseils du père Lachaise,
jésuite français, confesseur du roi, traduisit convertir par torturer.
[Illustration: Fig. 13.--Jean Cardel dans son cachot, d'après un dessin
des cachots de la Bastille conservé au musée Carnavalet.]
Transféré à la Bastille, Cardel y trouva quelque pitié dans son
gouverneur M. de Baisemeaux. Mais sous le gouvernement du sieur
Benigne d'Auvergne de Saint-Mars, secondé par son neveu, un soudard
du nom de Corbé, le malheureux Cardel fut replongé dans les fers. Ce
martyr y resta en tout trente années.
Son seul crime fut, à la vérité, son continuel refus d'abjurer sa religion!
Saint-Mars le fit enfermer presque nu dans le plus hideux des cachots
où, pendant les crues de la Seine, il resta de longs jours avec de l'eau
jusqu'au cou!
Quand on le trouva mort sur sa paille, véritable fumier, il était enchaîné
par les reins, par les mains et par les pieds. La clémence du gouverneur
lui avait, paraît-il, épargné le carcan qui, à lui seul, pesait 60 livres!
De telles atrocités dignes des geôliers de la féodalité et des bourreaux
de l'inquisition se passent de commentaires.
Il nous suffit de livrer à la réprobation universelle ceux qui les
exécutèrent, ceux qui les ont commandées et ceux qui les ont laissées
faire.
Un seul homme osa tenter d'adoucir les souffrances des prisonniers;
malheureusement il resta trop peu de temps au département de Paris.
Cet homme de bien, c'était le premier président de la cour des aides,
directeur de la librairie, M. Lamoignon de Malesherbes, qui, devenu
ministre, eut pour premier souci de visiter les prisons: «Il en fit sortir
tous ceux qui étaient innocents ainsi que ceux qui, par la longueur de
leur captivité se trouvaient trop punis et ordonna que des soins délicats
et des attentions touchantes consolassent les infortunés que leurs délits
bien constatés l'empêchaient de faire élargir.»
Comme on le voit, par les lettres et récits que nous venons de
reproduire, le régime de la Bastille n'était pas ce qu'ont dit certains
auteurs, car son histoire serait un long martyrologe.
Tontes ces ignominies, qui commençaient à se répandre dans le public,
jointes à la tyrannie croissante du pouvoir qui l'opprimait chaque jour
davantage, devaient bientôt faire éclater la juste colère du peuple.
Jeter bas cette mystérieuse et lugubre prison, la terreur et la menace de
quatre siècles, fut dès lors son unique cri, son unique espérance!
La prise de la Bastille, par le peuple de Paris, fut donc, outre un acte
d'humanité, une habile mesure stratégique.
LA PORTE SAINT-ANTOINE
Quand il fut décidé que la porte Saint-Antoine serait reportée en dehors
de la forteresse, qui devait être ainsi complètement isolée, on la
construisit sur la gauche de la Bastille, en venant de Paris, et en arrière
du fossé qui protégeait déjà le rempart.
En 1380, elle affectait la forme d'une construction massive, plus haute
que large, à quatre faces. La face qui regardait l'extérieur était ornée de
quatre tourelles ou échauguettes au-dessus d'une voûte unique munie
d'un pont-levis. Ce dernier reposait sur un pont
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