LImmortel | Page 8

Alphonse Daudet
par un petit escalier en ��chelle de moulin, il vint reprendre sa loupe et le vieux grimoire dont l'examen l'absorbait depuis le matin.

II
?Hep!... hep!...? Sur le charreton �� deux roues qu'il conduit lui-m��me, correct et droit, les guides hautes, Paul Astier file bon train vers son myst��rieux d��jeuner d'affaires: le Pont-Royal, les quais, la place de la Concorde. Dans ce d��cor de terrasses, de verdure et d'eau, avec un peu de fantaisie en t��te, il pourrait croire que c'est l'aile de la fortune qui l'emporte, tant la route est unie, la matin��e splendide; mais le gar?on n'a pas le crane mythologique et, tout en roulant, il inspecte les cuirs neufs de l'attelage, s'informe du grainetier au jeune groom rabl��, tass�� aupr��s de lui, l'air blagueur et rageur d'un petit ratier d'��curie. Encore un, para?t-il, ce grainetier, qui renacle sur la fourniture. ?Ah!? fait Paul distraitement, occup�� d��j�� d'autre chose. Les confidences de sa m��re lui trottent dans l'esprit... Cinquante-trois ans, la belle Antonia!... Ce dos, ces ��paules, le plus parfait d��colletage de la saison. Ce n'est pas Dieu croyable!... ?Hep! l��...? Il se la rappelle �� Mousseaux, l'��t�� dernier, lev��e avant tout le monde, courant le parc avec ses chiens dans la ros��e, cheveux au vent, la bouche fra?che... ?a n'avait pourtant pas l'air d'une femme fabriqu��e... m��me qu'un jour, en landau, il s'est fait remiser, oh! mais remiser, sans un mot, rien que d'un coin d'oeil, comme un domestique, pour avoir seulement fr?l�� une jambe d'H��b��, longue, fine, solide... Cinquante-trois ans, cette jambe-l��, jamais de la vie!... ?Hep! hep! gare donc! Est-il tra?tre, ce tournant du rond-point et de l'avenue d'Antin...? C'est ��gal! un sale coup qu'on lui monte, �� cette pauvre femme, de lui marier son prince. Car enfin, m'man a beau dire, le salon de la duchesse leur a rudement servi �� tous... Est-ce que le p��re serait de l'Acad��mie, sans elle? lui-m��me, toutes ses commandes... Et l'h��ritage Loisillon, la perspective de ce beau logement sous la coupole... Non, d��cid��ment, les femmes, comme rosserie!... Et avec ?a que les hommes... Ce d'Athis, quand on pense tout ce qu'elle a fait pour lui... Ruin��, vid��, une loque, lorsqu'ils se sont connus. Aujourd'hui, ministre pl��nipotentiaire, membre de l'Acad��mie des sciences morales et politiques pour un livre dont il n'a pas ��crit un mot: La Mission de la femme dans le Monde! Et pendant qu'elle travaille �� lui d��crocher une Ambassade, lui n'attend que le d��cret de l'Officiel pour filer �� l'anglaise et, apr��s quinze ans d'un bonheur sans m��lange, poser �� sa duchesse un de ces lapins!... En voil�� un qui l'a comprise, la mission de la femme dans le monde!... Faudrait voir �� ne pas ��tre plus serin que lui... ?Hep! hep!... porte, s'il vous pla?t!?
Le monologue est fini, le charreton en arr��t devant un h?tel de la rue de Courcelles dont le portail s'ouvre �� deux battants, tr��s lent, tr��s lourd, comme faisant une besogne dont il aurait perdu depuis longtemps l'habitude.
* * * * *
C'est l�� que vivait, clo?tr��e depuis son deuil et la tragique aventure qui la fit veuve �� vingt-six ans, la princesse Colette de Rosen. Les chroniques du temps ont racont�� le d��sespoir �� grand fracas de ce jeune veuvage, les cheveux blonds coup��s ras, jet��s dans la bi��re, la chambre transform��e en chapelle ardente, les repas solitaires, �� deux couverts, et sur la table de l'antichambre, �� leur place ordinaire, la canne, les gants, le chapeau du prince, comme s'il ��tait l��, comme s'il allait sortir. Mais ce dont personne n'avait parl��, c'est le d��vouement affectueux, la sollicitude presque maternelle de Mme Astier pour la ?pauvre petite,? en ces circonstances douloureuses.
La liaison de ces dames datait de quelques ann��es, d'un prix d��cern�� par l'Acad��mie au prince de Rosen pour un ouvrage historique. Astier-R��hu rapporteur: toutefois l'��cart de l'age, des positions, maintenait entre elles des distances que le deuil de la princesse supprima. Dans son ��clatante rupture avec le monde, madame Astier fut seule except��e; seule, elle put franchir le perron de l'h?tel chang�� en couvent o�� pleurait la pauvre Carm��lite noire �� t��te rase; seule, elle fut admise �� entendre, deux fois par semaine, la messe dite �� Saint-Philippe pour le repos de l'ame d'Herbert, et aussi la lecture des lettres que Colette ��crivait tous les soirs �� son cher absent, lui racontant sa vie, l'emploi de ses journ��es. Il y a dans le deuil le plus aust��re des d��tails mat��riels qui d��shonorent la douleur mais que veut le monde, commandes de livr��es, draperies d'��quipages, l'��coeurant contact du fournisseur aux fa?ons hypocrites et dolentes; de tout cela Mme Astier s'��tait charg��e avec une patience inlassable, et prenant en tutelle cette lourde maison que de beaux yeux brouill��s de larmes ne pouvaient plus conduire, elle ��pargnait �� la jeune veuve tout ce qui
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