LImmortel | Page 6

Alphonse Daudet
furieuse, dont la face luisante et coutur��e apparut au guichet perc�� dans la muraille par o�� l'on passait les plats du temps de la table d'h?te. Quand elle l'eut referm�� violemment, L��onard Astier murmura: ?Cette fille est d'une impudence!...? au fond, tr��s g��n�� que ce nom de Fage eut ��t�� prononc�� devant sa femme. Et bien s?r qu'en tout autre moment Mme Astier n'aurait pas manqu�� de dire: ?Ah! Ah!... encore ce Fage... encore votre relieur...? et qu'une sc��ne de m��nage e?t suivi, sur laquelle Corentine comptait bien en jetant sa phrase perfide. Mais aujourd'hui il s'agissait de ne pas irriter le ma?tre, de l'amener, au contraire, par d'habiles pr��parations �� ce qu'on voulait de lui; en l'entretenant, par exemple, de la sant�� de Loisillon, le secr��taire perp��tuel de l'Acad��mie, qu'on disait de plus en plus bas. Le poste de Loisillon, son appartement �� l'Institut, devaient revenir �� L��onard Astier comme une compensation �� l'emploi qu'il avait perdu, et quoique li�� de coeur avec ce coll��gue mourant, l'espoir d'un bon traitement, d'un logis a��r��, commode, et quelques autres avantages, enveloppaient cette fin prochaine de perspectives agr��ables dont L��onard avait honte peut-��tre, mais qu'il envisageait na?vement dans l'intimit�� de son m��nage. Eh bien! non, m��me cela ne le d��ridait pas aujourd'hui.
?Pauvre M. Loisillon, sifflait Mme Astier, voil�� que maintenant il ne trouve plus ses mots: Lavaux nous racontait, hier, chez la duchesse, il ne sait plus dire que ?bi... bibelot... bi... bibelot!?--Elle ajouta, pin?ant ses l��vres, son long cou dress��: ?Et il est de la commission du dictionnaire.?
Astier R��hu ne sourcilla pas.
?Le trait a du bon... dit-il en faisant claquer sa machoire, l'air doctoral... Mais j'ai ��crit quelque part dans mon histoire: En France il n'y a que le provisoire qui dure...? Il pronon?ait histoare, provisoare... ?Voil�� dix ans que Loisillon est �� la mort... Il nous enterrera tous.? Il r��p��ta furieux, tirant sur son pain dur: ?tous... tous...?
D��cid��ment, Teyss��dre l'avait tout �� fait mal tourn��.
Alors Mme Astier parla de la grande s��ance des cinq Acad��mies, proche de quelques jours et �� laquelle assisterait le grand-duc L��opold de Finlande. Justement Astier-R��hu, directeur pour ce trimestre, devait pr��sider la s��ance et prononcer le discours d'ouverture avec un compliment �� Son Altesse. Et adroitement interrog�� sur ce discours dont il formait d��j�� le plan, L��onard en indiqua les grandes lignes, une charge �� fond contre l'��cole litt��raire moderne, de solides ��trivi��res donn��es publiquement �� ces b��litres, �� ces babouins!...
Ses larges prunelles de gros mangeur s'allumaient dans sa face carr��e o�� le sang montait sous l'��paisse broussaille des sourcils rest��s d'un noir de houille, en contraste avec le collier de barbe blanche.
?A propos, dit-il brusquement, et mon habit?... l'a-t-on visit��?... Quand je le mis la derni��re fois, pour enterrer Montribot...?
Mais, est-ce que les femmes ne pensent pas �� tout? Mme Astier l'avait soigneusement visit��, le matin m��me, cet habit de c��r��monie. La soie des palmes s'��raillait, la doublure ne tenait plus. Un vieil habit, dam!... qui datait de... Eh! mon Dieu, de sa r��ception... 12 octobre 1866... Le mieux serait de s'en commander un neuf pour la s��ance. Les cinq Acad��mies, une Altesse, tout Paris qui viendrait... On leur devait bien cela.
L��onard se d��fendait mollement, pr��textant de la d��pense trop forte. Avec l'habit, il faudrait renouveler le gilet, tout au moins le gilet, puisque le pantalon ne se porte plus.
?C'est n��cessaire, mon ami.?
Elle insistait. Sans y prendre garde ils devenaient ridicules �� force d'��conomie. Bien des choses autour d'eux vieillissaient; ainsi le meuble de sa chambre... elle en ��tait honteuse, quand une amie entrait ... pour une somme relativement minime...
?Ouais!... quelque sot!...? fit tout bas Astier-R��hu qui empruntait volontiers au r��pertoire classique. Le pli de son front se creusa, fermant comme d'une barre de volet sa face un moment large ouverte. Tant de fois il avait donn�� de quoi solder une facture de modiste, de couturi��re, renouveler des tentures, le linge des armoires, et puis rien n'��tait r��gl�� ni achet��, l'argent filait rue Fortuny chez le mange-tout; maintenant, assez, on ne l'attrapait plus. Il arrondit son dos, baissa les yeux dans son assiette qu'emplissait une tranche ��norme de fromage d'Auvergne, et ne parla plus.
Mme Astier connaissait ce silence t��tu, cette molle r��sistance de balle de coton sit?t qu'entre eux il ��tait question d'argent; mais cette fois, elle s'��tait jur�� de le faire r��pondre.
?Ah! vous vous mettez en boule... On sait ce que ?a veut dire, quand vous faites le h��risson!... Pas d'argent, n'est-ce pas? du tout, du tout, du tout??
Le dos s'arrondissait de plus en plus.
?Vous en trouvez cependant pour M. Fage...?
L��onard Astier tressaillit, redress��, regardant sa femme avec inqui��tude... De l'argent!... lui!... �� M. Fage!...
?Voyons, ?a co?te, vos reliures... continua-t-elle enchant��e de l'avoir forc�� dans ses r��sistances silencieuses, et quel besoin, je vous demande un peu, pour toutes ces paperasses??
Il se rassura. ��videmment
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