à fleur de front, et, au-dessous,
un large four.
Alors, il bougea, il se redressa sur son siège, il leva la main. Ayant
ouvert la porte toute grande, pour que la chambre fût mieux éclairée,
Mme Hall le vit plus nettement : il tenait un foulard sur sa figure, tout
comme elle l'avait vu auparavant tenir sa serviette. L'obscurité,
pensa-t-elle, l'avait trompée.
« Est-ce que vous voudriez bien permettre que monsieur vienne
arranger l'horloge ? dit-elle en surmontant son trouble.
– Arranger l'horloge ? » répéta le voyageur, jetant autour de lui des
regards endormis et parlant pardessus sa main ; puis, tout à fait réveillé :
« Mais, certainement !… »
Mme Hall sortit pour prendre une lampe ; lui se leva et s'étira. Alors, la
pièce éclairée, M. Teddy Henfrey se trouva face à face avec l'homme
aux bandeaux. Il en fut, disait-il, « tout chose ».
« Bonjour ! » lui dit l'étranger, en le fixant « avec des yeux de
langouste », selon l'expression pittoresque de M. Henfrey qui désignait
ainsi les lunettes aux verres fumés.
« J'espère, dit celui-ci, que je ne vous gêne pas.
– Non, pas du tout, répondit l'étranger. Pourtant, j'entends – et il se
tournait vers Mme Hall – que cette pièce soit bien à moi, pour mon
usage particulier.
– Je pensais, monsieur, que vous préféreriez que l'horloge…
– Certainement, certainement… Mais, règle générale, je désire être seul
et que l'on ne me dérange pas. »
Il fit volte-face, les épaules à la cheminée, les mains derrière son dos.
« Et maintenant, ajouta-t-il, quand la réparation sera faite, je voudrais
avoir du thé… Mais pas avant que la réparation soit terminée. »
Mme Hall était sur le point de sortir – cette fois, elle n'essaya pas
d'engager la conversation, pour ne pas s'exposer à être rabrouée devant
M. Henfrey – lorsque le client lui demanda si elle avait pris ses
dispositions au sujet des malles restées à Bramblehurst. Elle répondit
qu'elle avait parlé au facteur et que le voiturier les apporterait le
lendemain.
« Êtes-vous sûre que ce soit le moyen le plus rapide ? »
Elle en était sûre, elle l'affirma avec froideur.
« C'est que, voyez-vous… Je vais vous expliquer ce que je n'ai pu vous
dire plus tôt parce que j'étais trop gelé et trop fatigué : je suis un
travailleur, un homme de laboratoire…
– Ah ! vraiment, monsieur ! fit Mme Hall, très intéressée.
– Et mes bagages contiennent des appareils, un matériel.
– Toutes choses bien utiles, sans doute !
– Naturellement, je suis impatient de poursuivre mes recherches.
– Naturellement, monsieur !
– Ma raison de venir à Iping, continua-t-il d'un ton assez délibéré, était
le désir de la solitude. Je tiens à n'être pas troublé dans mon travail. En
plus, d'ailleurs, de mon travail, un accident qui m'est arrivé… (« Je le
pensais bien ! » se dit Mme Hall)… exige une certaine retraite. Mes
yeux sont quelquefois si affaiblis et si douloureux que je dois
m'enfermer dans l'obscurité des heures entières, m'enfermer à clef. Cela,
de temps à autre. Pas pour le quart d'heure, toutefois. À ces moments-là,
le moindre dérangement, par exemple l'entrée de quelqu'un dans ma
chambre, est pour moi une cause de véritable torture… Il est bon que
cela soit entendu.
– Parfaitement, monsieur. Si j'osais me permettre de demander…
– C'est bien tout, je crois », dit l'étranger, de ce ton tranquille et sans
réplique qu'il savait prendre pour couper court aux interrogations.
Mme Hall dut garder sa question et sa pitié pour une circonstance
meilleure.
Quand elle eut quitté la pièce, il resta debout devant le foyer, attentif –
M. Henfrey le rapporta – à la réparation de l'horloge.
M. Henfrey travaillait, une lampe posée tout près de lui : l'abat-jour vert
jetait une lumière plus vive sur ses mains, sur le cadran et sur les petites
roues de l'horloge, laissant dans l'ombre le reste du salon.
Lorsqu'il leva la tête, sa vue d'abord fut troublée par les reflets colorés.
Curieux de sa nature, il avait démonté les pièces, chose parfaitement
inutile, avec l'idée de retarder son départ et d'arriver ainsi peut-être à
engager la conversation avec l'étranger. Mais celui-ci demeurait
silencieux et immobile. Si bien immobile que cela finit par agacer
Henfrey. Il eut l'impression d'être seul et regarda : grise et peu éclairée,
se dressait l'énorme tête à bandeaux, qui l'examinait avec ses grosses
lunettes sombres, obscurcies d'une buée verdâtre. Cela devint pour
Henfrey si insupportable que, pendant une minute, ils demeurèrent tous
deux à se considérer d'un air confus. Puis Henfrey baissa les yeux.
Situation vraiment bien gênante ! Il eût aimé à dire quelque chose.
Convenait-il de faire observer que le temps était bien froid pour la
saison ? Il se redressa comme pour
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