qu'il ne lisait que les renseignements mondains.
--Monsieur Salerne, me disait-il, voyez-vous, ce que j'aurais aim�� dans la vie, moi, c'est la soci��t�� des gens du monde. Je n'��tais pas n�� pour remplir un r?le social aussi infime.
Et il r��p��tait comme un morceau po��tique, comme le refrain d'une romance, un ��cho recueilli dans le Gaulois ou dans Excelsior: "Grand bal hier donn�� chez la princesse Lannes..." Ses distractions ��taient honn��tes il se plaisait �� passer la soir��e au cin��ma ou au caf��-concert. Et souvent, en me faisant la barbe, me chantait-il quelque couplet tendre ou galant, d'une voix juste, mais un peu chevrotante. Le printemps venu, chaque dimanche, il courait la banlieue, sans doute avec d'aimables personnes, dont il n'osait pas me parler autrement que par des allusions myst��rieuses; et le lundi, je voyais sa boutique toute fleurie de ces grandes branches de lilas, que la poussi��re et les cahots du chemin de fer ont frip��es et qui pendent.
--J'ai la superstition du lilas, me confiait-il alors, celle du muguet aussi. Quand j'en cueille, - et je sais ce que les d��sillusions ont de plus amer, monsieur, - eh bien! je ne peux pas croire que l'amour ne finira pas par me rendre heureux! J'ai un ami �� La Promenade de V��nus, qui me raille quand je parle ainsi, mais est-ce un mal que de garder sa pointe d'illusion? Je peux vous avouer cela, n'est-ce pas? Monsieur, car je vous connais bien, malgr�� votre r��serve, vous ��tes un d��licat comme moi!
Avouez-le, comment n'euss��-je pas ��t�� flatt�� par une telle appr��ciation?
Le jour m��me o�� elle me fut faite, je rencontrai pour la premi��re fois M. Val��re Bouldouyr.
CHAPITRE II
Portrait d'un homme inactuel.
"La m��ditation a perdu toute sa dignit�� de forme; on a tourn�� en ridicule le c��r��monial et l'attitude solennelle de celui qui r��fl��chit, et l'on ne tol��rerait plus un homme sage du vieux style. Nietzsche.
J'��tais, en effet, assis dans la boutique de M. Delavigne, ligot�� comme un prisonnier par les noeuds d'une serviette si humide qu'elle risquait fort de me donner des rhumatismes, et mon ge?lier jouait �� faire pousser sur mes joues une mousse de plus en plus l��g��re, quand la sonnette de l'��tablissement, qui avait, je ne sais pourquoi, un timbre rustique, tinta doucement. Mon regard plongeait dans la glace qui faisait face �� la porte. Je vis entrer un personnage qui me parut curieux, au premier abord, sans que je comprisse exactement pourquoi.
Il ��tait corpulent, de taille moyenne, d'aspect un peu lourd. Son front bomb��, ses petits yeux vifs, se joues rondes et creus��es d'une fossette, son nez pointu aux narines vibrantes, une l��vre ras��e, un collier de barbe qui grisonnait, me rappel��rent tr��s vite un visage bien connu; mais il y avait dans ses traits quelque chose d'amollli, de lache, de d��tendu. L'inconnu ressemblait certainement �� Stendhal, mais �� un Stendhal en d��calcomanie. Il portait un vieux feutre sans fra?cheur et un gros pardessus bourru, de couleur marron, qui laissait voir un col mou et une cravate us��e, mais dont les couleurs autrefois vives r��v��laient d'anciennes pr��tentions. Il s'assit dans un coin, apr��s avoir ��chang�� avec M. Delavigne un salut cordial. Au bout d'un moment, le voyant d��soeuvr��, le coiffeur lui offrit un journal.
Mais le client refusa majestueusement cette proposition:
--Vous savez bien, dit-il, que je ne lis jamais de journaux, jamais! Pourquoi faire? Je n'ignore pas grand'chose des turpitudes qui peuvent se passer dans ce bas-monde. En quoi pourraient-elles m'int��resser?... Vous, monsieur Delavigne, voulez-vous me dire ce qui vous int��resse dans un journal?
--Mais les crimes, par exemple, dit M. Delavigne, d��contenanc��.
--Les crimes? Ils sont d��j�� tous dans la Bible! Ils ne varient que par le nom de la localit�� o�� ils ont ��t�� commis.
--La politique...
--La politique? Parlez-vous s��rieusement, monsieur Delavigne? La politique? Vous tenez sinc��rement �� savoir par quel proc��d�� vous serez tracass��, vol��, martyris�� et r��duit en esclavage? Moi, ?a m'est ��gal! Les moutons ne seront jamais tondus que par les bergers. Maintenant, si vous pr��f��rez un berger qui porte un nom de famille �� un berger qui porte un num��ro, c'est votre affaire. Une affaire purement personnelle, monsieur Delavigne, ne l'oublions pas!
--Enfin, j'aime �� savoir ce qui se passe!
--Moi aussi! Ou plut?t, j'aimerais �� savoir ce qui se passe, s'il se passait quelque chose. Mais il ne se passe rien, vous entendez bien, rien!
Il s'enfon?a de nouveau dans sa m��ditation, et M. Delavigne me fit plusieurs petits signes du coin de l'oeil, pour me signaler qu'il avait affaire �� un original, un fameux original! Je m'en apercevais, parbleu! Bien.
Je clignai de la paupi��re �� mon tour, afin d'engager M. Delavigne �� reprendre sa conversation avec le faux Stendhal.
Apr��s quelques instants de silence, le coiffeur d��buta ainsi:
--Si vous ne vous int��ressez pas aux journaux, ni aux crimes, ni �� la politique, monsieur Bouldouyr, �� quoi donc vous int��ressez-vous?
Bouldouyr
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