ne r��pondit pas tout de suite. Il nous regardait alternativement, le coiffeur et moi. Puis un sourire de m��pris doucement apitoy�� erra sur ses l��vres gourmandes.
--Vous, monsieur Delavigne, vous aimez �� jouer aux dominos �� La Promenade de V��nus, vous ne d��daignez pas le cin��ma et vous nourrissez, chaque printemps, une passion nouvelle pour quelque aimable nymphe du quartier. Si j'avais n'importe lequel de ces go?ts charmants, vous pourriez appr��cier ce qui m'int��resse, mais la v��rit�� me force �� confesser que tout cela m'est souverainement indiff��rent. Presque tout d'ailleurs m'est indiff��rent, et ce qui me passionne, moi, n'a de signification pour personne.
--J'ai connu un philat��liste qui raisonnait �� peu pr��s comme vous.
--Un philat��liste! S'��cria M. Bouldouyr, qui devint soudain rouge de col��re, je vous prie, n'est-ce pas, de ne pas me confondre avec un imb��cile de cette sorte! Un philat��liste! Pourquoi pas un conchyliologue, puisque vous y ��tes?
--Je vous demande pardon, monsieur, je ne croyais pas vous facher...
--C'est bon, c'est bon, dit M. Bouldouyr, en se levant. Je vais prendre l'air, je reviendrai tant?t.
Et il sortit en faisant claquer la porte.
--Il est un petit peu piqu��, dit M. Delavigne, en souriant. Mais ce n'est pas un m��chant homme. Il s'appelle Val��re Bouldouyr. Un dr?le de nom, n'est ce pas? Et puis, vous savez quand il dit que rien ne l'int��resse, il se moque de nous. Il se prom��ne souvent au Palais-Royal avec une jeunesse, qui a l'air joliment agr��able. Et vous savez, ajouta indiscr��tement M. Delavigne, en se penchant vers mon oreille, il est plus vieux qu'il n'en a l'air. C'est moi qui lui ai fourni son postiche et la lotion avec laquelle il noircit �� demi sa barbe, qui est toute blanche...
Ces d��tails me g��n��rent un peu. Je demandai �� m. Delavigne �� quoi M. Bouldouyr ��tait occup��.
--A rien, c'est un ancien employ�� du minist��re de la Marine. Maintenant il est �� la retraite.
Je quittai la boutique de M. Delavigne. Je croisai M. Bouldouyr, qui s'acheminait de nouveau vers elle. Il marchait lourdement, et il me parut vo?t��, mais peut-��tre ��tait-ce l'influence du coiffeur qui me le faisait voir ainsi.
Je gagnai le Palais-Royal et je traversai le jardin. C'��tait un jour de printemps. Le paulownia noir et tordu portait comme un madr��pore ses fleurs vivantes et qui durent si peu. Un gros pigeon gris reposait sur la t��te de l'��ph��be qui joue de la fl?te. Camille Desmoulins, v��tu de sa redingote de bronze, commen?ait la R��volution en s'attaquant d'abord aux chaises.
En regardant machinalement ces choses habituelles, je songeais �� Val��re Bouldouyr. Son nom ne m'��tait pas inconnu, mais o�� l'avais-je entendu d��j��?
J'eus soudain un souvenir pr��cis, et, montant chez moi je fouillai dans une vieille armoire, pleine de livres oubli��s; j'en tirai bient?t deux minces plaquettes: l'une s'appelait l'Embarquement pour Thul��, l'autre, le Jardin des Cent Iris. Toutes deux, sign��es Val��re Bouldouyr. La premi��re avait paru en 1887, la seconde en 1890. Il ��tait ��vident qu'apr��s cette double promesse M. Bouldouyr avait renonc�� aux Muses.
J'ouvris un de ces livrets poussi��reux. Je lus au hasard, ces quelques vers:
Sous un ciel qui se meurt comme l'oiseau Ph��nix La barque d'or ��veille un chagrin de vitrail, Sur l'eau noire qui glisse et qui coule �� son Styx, Et Watteau, tout argent, se tient au gouvernail!
Plus loin, je lis ceci:
Rien, Madame, si ce n'est l'ombre D'un masque de roses tomb��, Ne saurait rendre un coeur plus sombre Que ce ciel par vous d��rob��!
Je souris avec m��lancolie. Quelque chose de charmant, la jeunesse d'un po��te, s'��tait donc jou��e jadis autour de ce vieil homme �� perruque! Qu'en restait-il aujourd'hui chez ce roquentin col��reux, qui s'offusquait des railleries de son coiffeur? H��las! Je le voyais bien, M. Bouldouyr n'avait pas eu cette force dans l'expression qui permet seule aux po��tes de durer, ni ce pouvoir de m?rir sa pens��e, qui transforme un jour en ��crivain le d��licieux joueur de fl?te, qui accordait son instrument aux oiseaux du matin. Midi ��tait venu, puis le soir. Et j'��tais sans doute aujourd'hui le seul lecteur qui cherchat �� deviner une pens��e confuse dans les rythmes incertains de l'Embarquement pour Thul��!
Pauvre Val��re Bouldouyr! J'avais bien voulu savoir ce qu'il pensait lui-m��me aujourd'hui de sa grandeur pass��e et de sa d��cadence actuelle. Mais il ��tait peu probable que je dusse le rencontrer jamais, sinon peut-��tre de loin en loin dans l'antre bizarre de M. Delavigne, et cela n'��tait pas suffisant pour cr��er une intimit�� entre nous.
CHAPITRE III
O�� l'on passe rapidement de ce qui est a ce qui n'est pas.
"La vie et les r��ves sont les feuillets d'un livre unique." Schopenhauer.
L'image de Val��re Bouldouyr avait frapp�� mon esprit plus profond��ment sans doute que je ne l'avais suppos�� tout d'abord, car, pendant la nuit, elle revint �� diverses reprises traverser mes songes.
Tant?t, couch�� sur une berge, je regardais une barque descendre la
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