LArgent | Page 8

Emile Zola
remettant �� sourire:
?Vous savez que je me suis mari��... Oui, avec une petite amie d'enfance. On nous avait fianc��s aux jours o�� j'��tais riche, et elle s'est ent��t��e �� vouloir quand m��me du pauvre diable que je suis devenu.
--Parfaitement, j'ai re?u la lettre de faire part, dit Saccard. Et imaginez-vous que j'ai ��t�� en rapport, autrefois, avec votre beau-p��re, M. Maugendre, lorsqu'il avait sa manufacture de baches, �� la Villette. Il a d? y gagner une jolie fortune.?
Cette conversation avait lieu pr��s d'un banc, et Jordan l'interrompit, pour pr��senter un monsieur gros et court, �� l'aspect militaire, qui se trouvait assis, et avec lequel il causait, lors de la rencontre.
?Monsieur le capitaine Chave, un oncle de ma femme.... Mme Maugendre, ma belle-m��re, est une Chave, de Marseille.?
Le capitaine s'��tait lev��, et Saccard salua. Celui-ci connaissait de vue cette figure apoplectique, au cou raidi par l'usage du col de crin, un de ces types d'infimes joueurs au comptant, qu'on ��tait certain de rencontrer tous les jours l��, d'une heure �� trois. C'est un jeu de gagne-petit, un gain presque assur�� de quinze �� vingt francs, qu'il faut r��aliser dans la m��me Bourse.
Jordan avait ajout�� avec son bon rire expliquant sa pr��sence:
?Un boursier f��roce, mon oncle, dont je ne fais, parfois, que serrer la main en passant.
--Dame! dit simplement le capitaine, il faut bien jouer, puisque le gouvernement, avec sa pension, me laisse crever de faim.?
Ensuite, Saccard, que le jeune homme int��ressait par sa bravoure �� vivre, lui demanda si les choses de la litt��rature marchaient. Et Jordan, s'��gayant encore, raconta l'installation de son pauvre m��nage �� un cinqui��me de l'avenue de Clichy; car les Maugendre, qui se d��fiaient d'un po��te, croyant avoir beaucoup fait en consentant au mariage, n'avaient rien donn��, sous le pr��texte que leur fille, apr��s eux, aurait leur fortune intacte, engraiss��e d'��conomies. Non, la litt��rature ne nourrit pas son homme, il avait en projet un roman qu'il ne trouvait pas le temps d'��crire, et il ��tait entr�� forc��ment dans le journalisme, o�� il baclait tout ce qui concernait son ��tat, depuis des chroniques, jusqu'�� des comptes rendus de tribunaux et m��me des faits divers.
?Eh bien, dit Saccard, si je monte ma grande affaire, j'aurai peut-��tre besoin de vous. Venez donc me voir.?
Apr��s avoir salu��, il tourna derri��re la Bourse. L��, enfin, la clameur lointaine, les abois du jeu cess��rent, ne furent qu'une rumeur vague, perdue dans le grondement de la place. De ce c?t��, les marches ��taient ��galement envahies de monde; mais le cabinet des agents de change, dont on voyait les tentures rouges par les hautes fen��tres, isolait du vacarme de la grande salle la colonnade, o�� des sp��culateurs, les d��licats, les riches, s'��taient assis commod��ment �� l'ombre, quelques-uns seuls, d'autres par petits groupes, transformant en une sorte de club ce vaste p��ristyle ouvert au plein ciel. C'��tait un peu, ce derri��re du monument, comme l'envers d'un th��atre, l'entr��e des artistes, avec la rue louche et relativement tranquille, cette rue Notre-Dame-des-Victoires, occup��e toute par des marchands de vin, des caf��s, des brasseries, des tavernes, grouillant d'une client��le sp��ciale, ��trangement m��l��e. Les enseignes indiquaient aussi la v��g��tation mauvaise, pouss��e au bord d'un grand cloaque voisin des compagnies d'assurances mal fam��es, des journaux financiers de brigandage, des soci��t��s, des banques, des agences, des comptoirs, la s��rie enti��re des modestes coupe-gorge, install��s dans des boutiques ou �� des entresols, larges comme la main. Sur les trottoirs, au milieu de la chauss��e partout, des hommes r?daient, attendaient, ainsi qu'�� la corne d'un bois.
Saccard s'��tait arr��t�� �� l'int��rieur des grilles. Levant les yeux sur la porte qui conduit au cabinet des agents de d'ange, avec le regard aigu d'un chef d'arm��e examinant sous toutes ses faces la place dont il veut tenter l'assaut, lorsqu'un grand gaillard, qui sortait d'une taverne, traversa la rue et vint s'incliner tr��s bas.
?Ah! monsieur Saccard, n'avez-vous rien pour moi? J'ai quitt�� d��finitivement le Cr��dit mobilier, je cherche une situation.?
Jantrou ��tait un ancien professeur, venu de Bordeaux �� Paris, �� la suite d'une histoire rest��e louche. Oblig�� de quitter l'Universit��, d��class��, mais beau gar?on avec sa barbe noire en ��ventail et sa calvitie pr��coce, d'ailleurs lettr��, intelligent et aimable, il ��tait d��barqu�� �� la Bourse vers vingt-huit ans, s'y ��tait tra?n�� et sali pendant dix ann��es comme remisier, en n'y gagnant gu��re que l'argent n��cessaire a ses vices. Et, aujourd'hui, tout �� fait chauve, se d��solant ainsi qu'une fille dont les rides menacent le gagne-pain, il attendait toujours l'occasion qui devait le lancer au succ��s, �� la fortune.
Saccard, �� le voir si humble, se rappela avec amertume, le salut de Sabatani, chez Champeaux: d��cid��ment, les tar��s et les rat��s seuls lui restaient. Mais il n'��tait pas sans estime pour l'intelligence vive de celui-ci, et il savait bien qu'on fait les troupes les plus braves avec les d��sesp��r��s, ceux
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