LA. B. C. du libertaire | Page 7

Jules Lermina
exploitations et des spéculations, la reprise de la terre et
de ses produits pour la collectivité.
Des alliances peuvent et doivent être conclues entre les exploités de
tous les pays--sans souci du nom géographique dont on les
affuble--pour jeter bas l'immense et formidable Bastille qui, sous des
milliers de formes diverses, symbolise la puissance propriétaire; la
patrie du travailleur est partout où le droit règne, elle n'est pas là où
l'iniquité est toute-puissante.
Il ne s'agit plus ici d'un territoire quelconque; la patrie a une
signification plus haute et profondément humaine. Car la patrie de
l'homme, c'est la terre toute entière et elle sera digne de ce titre,
c'est-à-dire paternelle à tous, quand, à la suite d'efforts dont le succès ne
rentre pas, quoi qu'on en ait dit, dans le domaine des utopies, la terre
toute entière sera régie par la justice.
* * *
On te dira encore, Camarade, que tel pays est plus digne que tel autre
d'être défendu parce que déjà on y a conquis de vaines libertés
politiques qui sont des instruments de progrès, ne te laisse pas troubler
par les grands mots.
De par l'organisation propriétaire et capitaliste, les libertés sont
employées contre la masse comme outil d'asservissement, et l'habileté
des maîtres est telle qu'ils savent défigurer les choses et les mots pour
leur attribuer une signification favorable uniquement à leurs intérêts.
Le suffrage universel! Est-ce que tu peux lui proposer le seul problème
dont la solution te touche, la reprise de la propriété et l'abolition du
capitalisme?

Défie-toi de tous ces vocables ronflants: syndicalisme, retraites
ouvrières, fixation des heures de travail. En tout cela, il n'y a que des
palliatifs, destinés à laisser subsister la grande iniquité sociale.
Syndicats--groupements des ouvriers qui défendent leurs intérêts contre
les patrons--pourquoi des patrons? Pourquoi des parasites? Un seul
syndicat, la collectivité travailleuse par elle-même et pour elle-même.
Les retraites ouvrières! C'est l'os qu'on jette aux travailleurs pour que,
satisfaits de ne plus mourir d'épuisement et de misère, ils acceptent de,
pendant toute leur vie, rester à l'état d'esclaves attachés à la glèbe
industrielle. Pas de retraites, mais la répartition équitable et légitime de
toutes les ressources terrestres entre ceux qui les produisent.
* * *
Peut-être, Camarade, qui veux travailler au progrès, es-tu surpris de
cette franchise. Tu dis que ce qui est acquis est acquis, et que la
diminution de souffrance n'est pas à dédaigner.
D'accord, mais n'oublie pas que le libertaire conscient a une mission
plus large; assez d'autres opportunistes, qui ont intérêt à la perpétuation
de l'état social actuel, sont tout prêts à servir inconsciemment de
complices à la malice des politicailleurs.
Tu dois voir de plus haut et plus loin.
Un exemple: Suppose que les socialistes arrivent à obtenir la journée de
huit heures. Quelles batailles ne faudra-t-il pas livrer pour que la
question soit posée sur son véritable terrain, c'est-à-dire que, tout en ne
travaillant que huit heures, l'ouvrier gagne autant qu'aujourd'hui, en ses
dix, douze et quatorze heures de labeur.
Admettons même que le capital, s'arrachant un lambeau de ses
bénéfices, consente à ce sacrifice et organise le travail par équipes,
augmentant ainsi le nombre des salariés et diminuant, à son grand
regret, celui des meurt-de-faim...

Est-ce que pour cela le salariat sera plus légitime, est-ce que plus
légitime le bénéfice prélevé par un individu ou une société sur la
collectivité des travailleurs, est-ce que plus légitime l'opulence des uns
en face de la misère des autres, le gavage en face de la privation?
Songes-y bien, dût ton salaire se décupler et ta fatigue diminuer dans
les mêmes proportions, la situation n'en serait pas moins injuste, parce
qu'elle aurait toujours pour base première le privilège des uns et la
soumission des autres.
Et toi, libertaire, tu ne peux être que l'homme de la justice. Sinon, tu
n'as pas de raison d'être, reste jacobin, radical, socialiste: tu seras un
des défenseurs de l'ordre de choses existant et quand tu voudras le
critiquer et verser sur les vices de l'humanité des larmes de crocodile, tu
seras un hypocrite et un tartufe.
* * *
La propriété--fondement de l'autorité--a créé tous les vices.
Elle est productrice de paresse, car, sans parler des riches qui
s'abstiennent de tout travail et vivent de celui des autres, elle a donné à
la masse la haine de l'effort et la volonté de s'y soustraire.
Ne le nie pas, Camarade. Tu ne travailles que parce que tu y es forcé, et
tu cherches à tromper ton patron en lui fournissant le moins possible
d'huile de bras.
Pourquoi, sinon parce que, sans que tu en aies peut-être la notion
positive, tu sens que ton effort profite à un égoïste et à un exploiteur.
Il n'en serait pas de même si tu travaillais pour la collectivité, car tu
comprendrais que, de ton effort
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