entier, le bénéfice revient à tous,
c'est-à-dire à toi-même.
Que t'importe de bâtir des palais que tu n'habites pas et d'où les laquais
te chassent à coups de trique! Mais si tu apportais ta pierre aux édifices
collectifs devant abriter tous les hommes et toi-même, avec quel amour
tu consacrerais ton énergie à leur beauté, à leur spaciosité, à leurs
conditions hygiéniques.
Travailler pour l'humanité avec la conscience qu'on fait partie des
bénéficiaires de tout travail, c'est la justification et on pourrait dire la
purification de l'effort quel qu'il soit; et avec quelle placidité chacun, sa
tâche accomplie, jouirait du bien-être dont il a été l'artisan.
* * *
La propriété a créé le vol: car elle est génératrice de jalousie, d'envie et
de haine, avec volonté de revanche.
Pourquoi celui-ci est-il favorisé plutôt que celui-là? Pourquoi, parce
que le grand-père ou le père de cet enfant ont amassé des capitaux, le
nouveau venu se trouvera-t-il délié de l'obligation que la nature impose
à tout homme d'arracher à la terre les ressources nécessaires à sa vie?
Alors celui qui n'a pas rongé son frein s'irrite à voir passer les oisifs qui
le narguent; l'éblouissement que lui met aux yeux l'étincellement des
richesses auxquelles il n'a aucune part, se mue en lueurs rouges dans
son cerveau, et c'est lui que la Société appelle criminel, lorsqu'elle l'a
incité, provoqué, bravé!...
Sous tout crime, quel qu'il soit, il y a, à la base, une crime de la société,
et pour qu'elle s'arrogeât le droit de punir, il faudrait tout d'abord qu'elle
se châtiât elle-même.
La propriété crée l'assassinat: le grand industriel est un dévoreur
d'hommes, et il se soucie de leur vie comme de leurs revendications.
Dans les hauts-fourneaux, dans les mines, le bétail humain peine et
meurt; et chaque goutte de sueur qui tombe, chaque goutte de sang qui
coule est par lui monnayée et entassée dans ses coffres.
Elle crée l'assassinat: car à qui lui prend sa vie, le sacrifié rêve de lui
prendre la sienne. C'est la propriété, c'est le capital qui ont assassiné le
malheureux Watrin, c'est l'égoïsme et la férocité capitalistes qui ont
chargé les fusils de Fourmies et de Limoges; et les soldats tueurs ne
sont que les exécuteurs des décrets de mort rendus par le capital.
Supprimer la propriété individuelle, c'est régénérer l'humanité, c'est
rendre impossibles--parce qu'inutiles--toutes les révoltes dont les
manifestations sont qualifiées de crimes: vols et meurtres.
Le jour où, la propriété étant collective, tout sera à tous, pourquoi voler
autrui, puisque c'est se voler soi-même? Pourquoi exercer une reprise
individuelle par la violence, meurtre ou assassinat, puisque cette reprise
s'exercerait sur son propre bien?
Pourquoi envier autrui, puisque les ressources individuelles étant à la
disposition de tous, il suffira de vouloir pour avoir?
Et n'oublie pas, Camarade, que ces désirs, ces passions dont l'explosion
est au principe de tous les crimes, sont réellement créés, développés,
entretenus par l'état de privation qui résulte pour la majorité de
l'organisation propriétaire de la Société.
Suppose que tes besoins soient légitimement satisfaits, que tu
aies--comme on dit--ton compte, crois-tu que ne diminueraient pas en
toi ces appétits, parfois excessifs, que crée la souffrance de la
perpétuelle pénurie?
Celui qui n'a pas faim, qui ne subit pas l'angoisse quotidienne du
lendemain, celui qui est entouré, non point de luxe--on y viendrait plus
tard--mais du confortable relatif sans lequel la vie est un supplice,
celui-là n'est plus un envieux, ni un haineux. Il jouit de la vie et est
heureux que les autres en jouissent comme lui.
* * *
La propriété crée la dépravation; ceci peut te paraître étrange, parce que
tu n'as peut-être jamais réfléchi que l'amour est gangréné jusqu'au fond
par le sentiment propriétaire.
L'orientation générale des idées est faussée à ce point que la Société a
inventé tout un code--de lois ou d'usages--en vertu duquel l'être humain
n'est plus maître de lui-même, de son corps, de ses désirs.
L'homme, affolé par le virus propriétaire, en est arrivé à ce degré
d'erreur qu'il admet le droit de propriété d'un être sur un autre être, de
l'homme sur la femme, de la femme sur l'homme; et la Société défend
l'union de ces deux êtres si n'est intervenu un pacte de vente et d'achat,
qu'elle appelle contrat de mariage. Et de ceux qui l'ont signé, chacun
devient le propriétaire de l'autre, avec interdiction sous peine de
prison--et même de mort--contre celui qui prétend rester maître de sa
personne, de sa chair, de son coeur.
En dehors même du mariage, l'amant s'affirme le maître de sa maîtresse
et la tue si, lasse de lui, elle entend se donner à un autre; la maîtresse
poignarde ou défigure celui qui l'abandonne.
La Société nouvelle, te dira-t-on, sera impuissante contre les crimes
passionnels. Non, Camarade. Elle les atténuera, jusqu'au jour où ils
disparaîtront tout à
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