temps d'une première iniquité commise.
* * *
La propriété a double forme, elle s'impose encore sous le nom de
capital, et le capital est comme la propriété le vol, le meurtre et
l'injustice.
La terre appartenant à l'humanité toute entière, à la collectivité, aussi à
l'humanité et à la collectivité appartiennent ses produits.
C'est l'humanité, la collectivité qui mettent en valeur l'instrument
terrestre que nous tenons de la nature, et le produit du travail nécessaire,
général et collectif, appartient à tous les hommes, sans individualisation
possible. Sur les ressources--richesses de toute nature--que fait jaillir du
sol le travail humain, tous les hommes ont un droit équivalent, pour la
satisfaction aussi complète que possible de leurs besoins matériels et
moraux.
* * *
Tu auras beaucoup entendu parler, mon Camarade, de la prise au tas et
de bon bourgeois se seront esclaffés devant cette expression quelque
peu vulgaire.
Il faut que le tas--collectif--des richesses produites soit assez
considérable pour que tous y trouvent leur part légitime. Or que se
passe-t-il aujourd'hui? Des gens, s'appuyant sur ce droit de propriété et
sur la constitution illégitime d'un capital, amassent pour eux--des
tas--dans lesquels ils puisent au gré de leurs caprices, tandis que des
millions d'hommes sont dénués de tout.
Ils sont entourés d'une horde de parasites qui repoussent, à coups de
lois et à coups de fusil, ceux qui, mourant de faim, font mine de toucher
à ces provendes monstrueuses.
Ces capitalistes s'arrogent le droit de laisser pourrir des denrées--c'est
leur pouvoir absolu--alors que des centaines d'hommes en vivraient; ils
sont les rois, ils sont les maîtres, leur caprice est souverain, ils peuvent,
quand ils le veulent, à l'heure choisie par eux, déchaîner la misère et la
famine sur la collectivité.
Ce sont des propriétaires qui, de par des coutumes admises appuyées
sur la force, décident de la vie ou de la mort des masses prolétariennes.
On a voulu nier que ce fussent les capitalistes et eux seuls qui
déchaînent la guerre: quel intérêt eût le peuple allemand à la guerre de
1870? La victoire a augmenté ce qu'on appelle les forces industrielles
du pays, c'est-à-dire que se sont constitués un plus grand nombre de
groupes capitalistes, fondant d'immenses ateliers, des docks, des usines
où les matières nécessaires à la vie, pour ne parler que de celles-là, sont
l'objet de tripotages commerciaux qui en décuplent le prix et en rendent
l'usage impossible aux prolétaires, parce que l'usinier, le grand
industriel, loin de travailler pour la collectivité, ne songe qu'à s'enrichir
lui-même--lui et ses actionnaires--au détriment des consommateurs,
c'est-à-dire de la grande masse.
Ces entreprises, nous dit-on, fournissent du travail à des millions
d'ouvriers: c'est réel, seulement ce travail même auquel on est forcé
d'avoir recours donne lieu à une rémunération calculée si avarement
que l'ouvrier y trouve à peine de quoi ne pas mourir. Que lui importe la
prospérité d'un pays qui ne se traduit que par des budgets impériaux ou
des bilans de fortunes particulières, alors que lui-même est toujours
pauvre, misérable et sacrifié?
* * *
Qu'il se révolte, qu'il s'empare des matières premières, des usines, qu'il
les emploie au bénéfice de la collectivité, c'est la justice.
Mais la propriété, mais le capital ont de longue date pris leurs
précautions.
Donnant au groupement des propriétés le nom de patrie, ils ont su
inspirer à la foule une sorte de religieuse passion pour une entité
invisible qu'ils abritent sous un symbole ridicule, le drapeau.
Le troupeau humain, bête et sentimental, abruti depuis des siècles par
l'idée de providence et de droits acquis, s'est laissé prendre à cette
fantasmagorie de mensonges, et il admire les armées, brillantes,
bruyantes, violentes, qui ont pour mission de défendre les propriétés et
les capitaux des accapareurs contre d'autres accapareurs non moins
déshonnêtes qu'eux-mêmes.
On invoque pour justifier l'idée de patrie et l'existence des armées la
nécessité de la défense légitime: le raisonnement serait juste si les
masses prolétariennes étaient appelées au service militaire pour
défendre un bien-être acquis et satisfaisant. Mais en est-il ainsi? Que
telle nation en écrase une autre, le régime propriétaire et capitaliste en
sera-t-il modifié, et la collectivité recouvrera-t-elle ses droits confisqués
par les individus?
Point. Victorieuse ou vaincue, toute nation reste soumise au joug de
l'exploitation capitaliste, et les arcs de triomphe qu'élèvent les satisfaits
ne sont pour la masse que les portes de l'enfer capitaliste.
Seule, la guerre sociale est juste.
Comprends bien, Camarade, je dis sociale--et non civile--parce que la
lutte de la justice contre l'iniquité ne se renferme pas dans les limites
d'un territoire défini: les exploités du capital--à quelque nation qu'ils
appartiennent--sont les adversaires des capitalistes de toutes les nations,
sans exception.
La guerre qui a pour but la propriété d'une ville, d'une province, d'un
royaume est inique: est juste la guerre qui a pour but l'abolition des
privilèges, des
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