lune, il pensait qu'un si joli temps serait
délicieux à admirer dans son petit jardin, sous sa tonnelle, entre sa
femme et ses deux filles, et il s'imaginait que la brise lui apportait des
odeurs de réséda et de chèvrefeuille. Quand il aurait bien humé l'air
dans son petit jardin, de là-bas, des antipodes, sa femme viendrait lui
frapper sur l'épaule et l'avertir de rentrer, pour ne pas attraper de
rhumes; car bien sûr, rendu à la vie civilisée, il s'enrhumerait, il
participerait à ces bienheureuses infirmités des gens sédentaires, qui ont
le loisir de se soigner.
Hélas! le capitaine se disait que, pour jouir immédiatement, il lui
faudrait percer la terre de part en part et descendre chez lui, comme on
sort d'un puits. Il s'amusait même, par la réflexion, à discuter le
problème de savoir s'il sortirait, le cas échéant, la tête la première ou les
pieds en avant.
Pendant qu'il s'égarait de digression en digression, oubliant un peu la
Papouasie et ses vilains habitants, auxquels il allait donner des
verroteries françaises pour ajouter à leur laideur, il se sentit toucher à
l'épaule. Michel se retourna brusquement. Il n'eût pas été trop surpris de
se trouver nez à nez avec madame Michel, les désirs et les rêves ayant
supprimé la distance.
Mais c'était Pharamond qui, l'oeil brillant et la bouche béante, lui dit:
--Eh bien! capitaine, vous oubliez l'heure. Il est temps de souper.
Milord a de l'appétit.
--Ah! ah! c'est vrai. Tout est-il préparé?
--Vous verrez!
--Je ne suis pas sans inquiétude, Pharamond. Ce diable d'original
n'aurait qu'à faire quelque coup de sa tête! et si je veux lui donner une
petite leçon, je ne tiens pas à l'exposer à un danger sérieux. Au surplus,
il ne s'agit que de quelques jours d'épreuve!
--Soyez donc tranquille, capitaine; milord Spleen se trouvera là comme
un coq en pâte. Aimez-vous mieux qu'il se livre à quelque sottise dont
nous souffririons tous, le Cyclope tout le premier?
--Le Cyclope! qu'il y touche!
--Il y touchera, si vous ne trinquez pas ce soir avec lui.
--Je trinquerai; n'aie pas peur. Tu vois, le ciel nous vient en aide!
--Voilà un temps délicieux pour les promenades. A-t-il de la chance cet
animal-là!
--Et dire qu'il méconnaît son bonheur! Comprends-tu, mon vieux
Pharamond, qu'il est millionnaire, ce coquin-là!
--Mille millions de tonnerres, et il se plaint! je vous le dis, capitaine, il
est incorrigible!
--C'est pour cela qu'il est amusant d'essayer de la correction.
Et Michel, qui dans sa belle humeur se départait, sans y penser, de sa
dignité de commandant, donna une poignée de main à son matelot, et le
quitta pour aller rejoindre sir Olliver. L'Anglais n'avait pas bougé.
Quand il vit venir le capitaine, il leva la tête.
--Il n'est pas onze heures?
--Pas encore, milord; mais je suis beau joueur, et je viens m'acquitter.
--Vous consentez?
--Je consens à vous donner les émotions que vous cherchez, répondit
Michel, qui ne voulait pas se livrer d'avance, ni mentir tout à fait.
--Enfin voilà donc un homme qui me comprend, dit l'Anglais d'un ton
glacial et en serrant avec force la main du capitaine.
Cette façon d'épancher sa reconnaissance en glaçons fit sourire Michel.
--Oui, milord, reprit-il, je consens; je mets une seule condition, c'est
que nous viderons ensemble quelques bouteilles d'excellent vin, que je
ne me soucie pas de voir noyer. La mer boit mal.
--C'est parfaitement raisonné. Monsieur le capitaine, permettez-moi de
vous offrir un cigare.
--Je n'en fume guère, j'ai l'habitude de la pipe; mais puisque c'est la
dernière fois que nous fumons ensemble.....
Et Michel, qui avait beaucoup de peine à garder son sérieux, prit un des
blonds cigares de sir Olliver, et le mit à ses lèvres.
Tout était préparé dans la chambre du capitaine pour un souper. Une
certaine élégance, celle qui tient surtout à l'harmonie des formes
entremêlées de bouteilles bien choisies, étonna sir Olliver. La partie
solide laissait à désirer; mais le capitaine s'excusa.
--Je n'ai pas eu le temps d'écrire à Paris et de prévenir Chevet, dit-il en
montrant un jambon, du fromage et quelques fruits secs.
--Nous n'avons besoin de rien de plus, répliqua courtoisement l'Anglais
qui comptait les bouteilles; le prétexte pour boire est suffisant.
--Eh bien! à table; et faisons peur à vos chagrins! Pourvu qu'ils ne
sachent pas nager, s'écria Michel qui ne se sentait pas d'aise.
--Je ne comprends plus, demanda sir Olliver.
--Parbleu! c'est bien simple: s'ils ne savent pas nager, ils vont être
noyés.
Et le capitaine éclata de rire.
L'Anglais ouvrit la bouche, comme si une douleur aiguë la faisait se
contracter. C'était son sourire à lui.
Les deux convives s'attablèrent. On commença par interroger une
bouteille de tokay.
--Il eût été dommage de perdre un si bon vin, dit l'Anglais, en reposant
son verre vide.
--Il
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.