mon beau-frère, il osa renouveler ses
propositions à la veuve... Elle le repoussa avec horreur, et mourut
presque subitement, en donnant le jour à Laure. Cela se passait en 1581;
j'étais au siège de Cambrai. A ma rentrée, en Bretagne, je reçus
communication de ces tristes nouvelles. Sans débotter, je me rendis à
Rennes où le duc tenait sa cour, et là, devant tous ses fiers barons, je
l'insultai grièvement. Le lendemain, nous nous battions à cheval et à
outrance. L'ayant désarçonné, nous recommençâmes le combat à pied.
Son épée se brisa contre mon écu, et il était à ma merci, quand, par un
sentiment de compassion que je me reproche toujours, je lui laissai la
vie sauve. Loin de me témoigner de la reconnaissance pour cet acte de
générosité, il ne rêva plus que vengeance, et telle est la source de sa
profonde animadversion contre notre glorieux Henri IV. Après
l'assassinat du feu roi Henri III, je pris fait et cause pour la Ligue contre
le Béarnais, et le duc de Mercoeur, quoique fervent catholique, promit
secrètement son appui aux calvinistes. Plus tard, Mayenne commit une
faute irréparable pour couvrir ses desseins ambitieux: il fit proclamer le
cardinal de Bourbon sous le nom de Charles X, le 7 août 1589. Alors,
comprenant dans quel abîme de maux l'anarchie allait entraîner notre
pauvre France, et pressentant les intentions usurpatrices de Philippe II,
qui, derrière le manteau de la religion, ne visait à rien moins qu'à l'unité
monarchique sur toute l'Europe et à l'abaissement du trône pontifical, je
m'unis franchement aux partisans de Henri. En revanche le duc de
Mercoeur fit volte-face, se coalisa, contre ce prince avec les ducs de
Longueville, de Montpensier, d'Épernon, d'Aumont, le baron d'O, et
cria à qui voulut l'entendre que j'étais un renégat, un relaps, un
hérétique. Mais ce fut en vain qu'il distilla le venin de la calomnie, pour
m'aliéner l'affection des vassaux bretons; mes principes étaient trop
bien connus. Je puis même dire que j'ai eu une grande part dans
l'abjuration de Henri IV. L'excommunication de Grégoire XIV ne m'a
point effrayé, parce que j'étais sûr de gagner une âme au ciel, et un bon
souverain à ma patrie. Et lorsque Clément VII, cédant aux sollicitations
de mes amis, d'Ossant et Duperron, accorda l'absolution à notre roi
bien-aimé, j'ai béni la Providence de la faveur qu'elle octroyait à la
France par l'entremise du divin pontife. Mais la jalousie du duc de
Mercoeur a grandi de tous ses insuccès. Furieux du triomphe de la
cause que j'avais soutenue, il essaya de se faire passer ici comme
l'héritier des anciens ducs, complota avec Philippe II, et refusa
l'allégeance au roi Henri. Cependant il me craint et, n'osant m'attaquer
ouvertement, se déguise pour m'attendre avec des assassins au coin d'un
bois...
--Quoi! dit Jean surpris, c'était...
--Chut! n'avançons rien sans preuve; l'Église le défend, et moi-même,
emporté par la colère, j'ai failli pécher. Au surplus, demain, le doute ne
sera plus permis. Mais, pour terminer, vous êtes informé de la haine qui
anime le duc de Mercoeur contre notre maison.
--Cette haine, je la méprise! s'écria vivement le jeune homme.
De la Roche branla la tête d'un air sombre.
--Le duc est puissant, dit-il ensuite, trop puissant!
--Le crédit du roi, hasarda l'écuyer...
--Le crédit du roi est sans influence sur les fanatiques, et, je vous
l'avoue, j'appréhende fort que, malgré le traité de Vorvins, l'édit de
Nantes, du 13 avril dernier, édit qui assure aux huguenots égalité de
charges, d'honneurs et de dignités avec les catholiques, ne soit mal vu
par la cour de Rome et ne pousse la France dans de nouvelles guerres
religieuses. Enfin!...
Et le marquis passa sur son front sa large main que sillonnait une
cicatrice.
--Enfin, reprit-il, j'ai les lettres patentes qui me confirment dans la
charge de lieutenant général du Canada. Dans huit jours, nous partirons
pour cette terre vierge dont on rapporte tant de merveilles, et Laure
entrera au couvent de Blois où elle attendra patiemment le retour de son
fiancé. Si je succombe, vous la protégerez, n'est-ce pas, Jean?
--Oh! s'écria le jeune homme avec chaleur.
II
LAURE DE KERSKOÊN
Il était midi. Assise dans une vaste chaire sculptée Laure de Kerskoên,
châtelaine de Vornadeck, feuilletait son beau missel imprimé sur
parchemin enluminé de miniatures d'après l'art byzantin et enrichi d'une
brillante couverture ayant des fermoirs d'or ciselé, avec l'améthyste
orientale au centre, enchâssée dans une plaque d'argent selon l'as de
saint Éloi, orfèvre du roi Dagobert.
Laure de Kerskoên, châtelaine de Vornadeck, avait l'âge des illusions,
dix-sept printemps. C'était un bouton de rose près de fendre la capsule
qui jalouse la richesse de ses couleurs, la suavité de ses parfums. Rien
de joli et de mutin à la fois comme son visage, où la témérité et la
douceur
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