possible. Si le vol
avait eu lieu avant l'avenue Henri-Martin, il avait la certitude de
découvrir un indice. Il quitta la chaussée, monta sur le trottoir, et suivit
la grille de la première maison. Il atteignit ainsi une petite porte fermée.
La maison était au fond du jardin; derrière les volets clos il y avait de la
lumière. Il ne s'attarda pas davantage, et poursuivit son chemin. Partout
le même calme, nulle trace d'effraction. Il commençait à désespérer de
rien découvrir, quand, ayant posé sa main contre une porte, il la sentit
céder sous sa pression et s'ouvrir.
Il leva les yeux. La maison était obscure, silencieuse, et ce silence lui
parut étrangement profond. Il haussa les épaules et murmura:
«Qu'est-ce que je vais chercher? Quel mauvais tour me joue mon
imagination à l'heure où j'ai besoin de tout mon sang-froid?... pourtant
par quel hasard, cette porte n'est-elle pas fermée?»
La porte avait tourné complètement sur ses gonds. Il voyait le petit
jardin aux plates-bandes bien soignées, la terre ratissée avec soin, et le
sable blond de l'allée qui semblait d'or sous la caresse de la lune. Une
hésitation le gagnait maintenant, si forte qu'il décida de continuer son
chemin... Tout cela n'était sans doute qu'un roman. Ces rôdeurs étaient
peut-être de braves ouvriers regagnant leur demeure... et que des
malandrins avaient attaqués... Qu'avaient-ils dit, en somme, qui pût
donner corps à ses soupçons? Leur allure était louche, leurs visages
sinistres? Mais lui-même, dans la nuit, apparaissant brusquement ainsi,
ne serait-il pas effrayant?...
Le drame se changeait peu à peu en vaudeville. Restait le paquet... Et,
s'il ne contenait qu'un vieux réveil et de la ferraille?...
La nuit est une étrange conseillère. Elle met sur les objets et sur les
êtres des ombres fantasmagoriques que le soleil dissipe en un instant.
La peur, ouvrier diabolique, transforme tout, bâtit de toutes pièces des
histoires, bonnes pour les petits enfants. Nul ne sait à quelle seconde
précise elle s'insinue dans le cerveau. Elle y travaille depuis des
minutes, des heures qu'on se croit encore maître de sa raison. On pense:
«Je veux ceci. Je vois cela...» Déjà elle a tout bousculé en nous, elle
s'est installée, souveraine. Ses yeux sont dans les nôtres, sa griffe frôle
notre nuque... Bientôt nous ne sommes plus qu'une loque orgueilleuse,
et, tout d'un coup, un grand frisson nous prend et nous secoue: Dans un
effort désespéré nous essayons d'échapper à son étreinte. Peine inutile:
les plus braves s'avouent vaincus les premiers. C'est la minute trouble
où l'on murmure la phrase redoutable: «J'ai peur!...» Mais depuis des
heures on claquait des dents sans oser s'en rendre compte.
Onésime Coche recula d'un pas, et dit à haute voix:
-- Tu as peur, mon garçon.
Il attendit, cherchant à démêler l'impression exacte que ce mot allait
faire sur lui. Pas un muscle de son corps ne tressaillit. Ses mains
restèrent immobiles dans ses poches. Il n'eut même pas cet étonnement
fugitif qu'on ressent à entendre résonner sa propre voix dans le silence.
Il regardait toujours droit devant lui, et, soudain, il tendit le cou: Dans
le sable jaune de l'allée des traces lui étaient apparues, qu'une ombre
mince découpait, empreintes de pas, nettes ici, déjà recouvertes par
d'autres empreintes. Il revint jusque sous la porte, se baissa et prit dans
sa main un peu de sable: C'était un sable sec, au grain très fin et si léger
que le moindre souffle devait le déplacer. Il entr'ouvrit les doigts et le
vit retomber en une poudre claire. Alors, brusquement, tous ses doutes
s'évanouirent avec toutes ses théories sur la peur et les images
fantastiques qu'elle suggère. Jamais son esprit n'avait été plus lucide,
jamais il ne s'était senti plus calme. Son cerveau travaillait comme un
bon tâcheron qui abat sa besogne et qui, ayant frappé son dernier coup
de marteau, prend la pièce achevée et, le poing tendu, l'élève satisfait à
hauteur de son oeil.
Il se ressaisit, ramassa ses idées confuses. Tout ce qui pendant un
moment lui avait semblé chimérique lui apparut de nouveau plus que
vraisemblable, vrai. Une certitude faite d'indices précis l'envahit. Il
abandonna les hypothèses pour des faits contrôlables que son
imagination ne pouvait plus travestir. De déductions en déductions --
logiques, cette fois -- il en arriva au point exact d'où il était parti sur
une simple impression:
Des pas avaient foulé le sable de l'allée et l'avaient foulé récemment,
car le vent, si léger qu'il fût, n'eût pas manqué d'effacer les empreintes
si elles avaient été anciennes. Les hommes et la femme avaient passé là.
Nul autre qu'eux n'avait franchi le seuil de cette maison. Le mystère
entrevu dormait derrière ces murs silencieux, dans l'ombre de ces
pièces aux fenêtres closes. Une force invisible le poussa en avant.
Il entra.
D'abord, il avança avec précaution,
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