Lépouvante | Page 7

Maurice Level
dégo?t, il avait eu le voisinage d'autres hommes, ce coude à coude qui rend braves les plus peureux. Pour la première fois il se trouvait à l'improviste et seul devant la mort... et quelle mort!...
Il se redressa cependant. La glace fendue lui renvoya son image. Il était blême, un grand cercle bistré entourait ses yeux, ses lèvres sèches s'entr'ouvraient dans un rictus affreux et, sur son front où perlaient des gouttes de sueur, près de sa tempe droite que rayait un filet de sang, une tache rouge apparaissait.
Tout d'abord, ne se souvenant pas du choc qu'il avait ressenti en poussant la porte, il crut que la tache était sur la glace et non sur lui. Il inclina la tête de c?té: la tache se dépla?a avec lui. Alors, il eut peur vraiment, horriblement. Non plus la peur de la mort, du silence et du meurtre, mais la peur obscure, insoup?onnée, d'une chose surnaturelle, d'une folie soudaine éclose en lui. Il se rua vers la cheminée et, les deux mains crispées au marbre, la face tendue, se regarda. Il respira plus librement. Avec la vision précise de la blessure, sa mémoire était revenue. Il sentit la douleur de sa chair meurtrie, et se réjouit presque d'avoir mal. Il prit son mouchoir, épongea le sang qui avait coulé jusque sur sa joue et son col. La déchirure était insignifiante: une section nette de deux centimètres environ qui avait beaucoup saigné comme saignent toutes les plaies de la face et qu'entourait une zone contusionnée d'un rosé violacé à peine plus large qu'une pièce de quarante sous. à cet instant -- une minute à peine s'était écoulée depuis son entrée dans la chambre - - il songea au corps immobile, étendu sur le lit, à la plaie hideuse entrevue, à cette face d'épouvante enfoncée dans la blancheur des draps, avec son menton projeté en avant, son cou tendu et comme offert à un nouvel égorgement, dont l'image se reflétait dans la glace, près de la sienne. Il se dirigea vers le lit, écrasant sous ses pieds des débris de verre, et se pencha.
Il n'y avait presque pas de sang autour de la tête. Mais la nuque, les épaules, baignaient dans une flaque rouge coagulée. Avec des précautions infinies, il prit la tête entre ses mains, la souleva: la plaie s'ouvrit, plus large, comme une effroyable bouche, laissant sourdre, avec un léger clapotis, quelques gouttes de sang. Un caillot épais adhérait aux cheveux, et s'étira suivant le mouvement du crane. Il reposa la tête, doucement. Elle avait gardé, dans la mort, une indicible expression d'effroi. Les yeux encore brillants avaient une fixité extraordinaire. La lumière de la lampe électrique y mettait deux flammes autour desquelles Onésime Coche regardait deux petites images à peine voilées qui étaient son image. Pour la dernière fois, le miroir de ces yeux sur qui avaient passé les visages des meurtriers réfléchissaient une face humaine. La mort avait fait son oeuvre, le coeur avait cessé de battre, les oreilles d'entendre, le dernier cri avait roulé entre ces lèvres retroussées, le dernier rale avait buté contre la barrière de ces dents couvertes d'écume... cette chair encore tiède ne tressaillerait plus jamais, ni sous la caresse d'un baiser, ni sous la morsure du mal.
Brusquement, entre ce mort et lui, une autre image se dressa: celle du trio du boulevard Lannes. Il revit le petit homme au paquet bleu, le blessé avec son oeil tuméfié, sa machoire de brute, et la fille en cheveux. Il entendit la voix brève et canaille qui disait: ??a se lave, ?a s'essuie pas?. Et le drame lui apparut terriblement clair, tandis que la femme faisait le guet, les deux hommes, après avoir crocheté les serrures, étaient montés au premier étage, où ils savaient trouver des valeurs. Le vieux, surpris dans son sommeil, avait crié, et les hommes lui avaient sauté dessus; lui, pour se défendre, s'était armé d'une bouteille, et, tapant au hasard, avait atteint au front l'un de ses agresseurs. La lutte avait continué encore quelques instants, à en juger par tout le sang répandu, les meubles renversés. Enfin, la victime s'était adossée contre son lit; l'un des hommes alors l'avait saisie par le col de sa chemise où se voyaient des marques rouges, et maintenu sur le dos tandis que l'autre, d'un seul coup, lui tranchait la gorge. Après, c'avait été le pillage, la recherche fiévreuse de l'argent, des titres, des bibelots de prix, puis la fuite...
Onésime Coche se retourna, afin de résumer dans sa pensée toute la scène. Sur la table, trois verres étaient posés dans lesquels il restait un peu de vin. Leur forfait accompli, les meurtriers ne s'étaient pas sauvés tout de suite: certains de n'être plus dérangés, ils avaient bu. Ensuite ils s'étaient lavé les mains, et avaient essuyé leurs doigts.
Une fureur
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