soudaine envahit l'ame du reporter. Il serra les poings et gronda:
-- Ah! les crapules! les crapules!
Qu'allait-il faire maintenant? Chercher du secours? Appeler? à quoi bon? Tout était fini, tout était inutile. Il demeurait immobile, hébété, le cerveau rempli par la vision du meurtre. Et soudain, son esprit joignit les assassins. Il les devina assis dans quelque bouge, partageant le butin, maniant de leurs doigts rougis les objets dérobés. Pour la seconde fois, il murmura:
-- Crapules! Crapules!...
Un désir l'envahit de les retrouver, et de les voir, non plus triomphants et féroces ainsi qu'ils avaient d? s'asseoir à cette table, près de ce cadavre, mais effondrés, livides, grima?ants, au banc de la cour d'assises, entre deux gendarmes. Il imagina ce que pourraient être leurs horribles faces tandis qu'on leur lirait l'arrêt de mort, et leur marche à la guillotine, au petit jour, sous la lueur du matin blême. La loi, la force, le bourreau lui apparurent formidables, terribles et justes. Tout d'un coup, par un revirement soudain, cette loi, cette force, et ce bras séculier lui semblèrent des fantoches ridicules dont se riaient les criminels. La Police, incapable de veiller sur la sécurité des gens, était trop maladroite pour mettre la main sur les assassins. De temps en temps, elle en arrêtait bien un, au petit bonheur, et parce que le hasard se mettait dans son jeu. Mais, pour un gredin pris au collet, combien de crimes impunis! La Police se fait non avec des brutes solides, mais avec des cerveaux intelligents, avec des artistes véritables, des hommes qui considèrent leurs fonctions moins comme un métier que comme un sport. Pour peu qu'un criminel ne commette pas une lourde maladresse, il est s?r de l'impunité. L'homme qui ne laisse rien derrière lui, peut voler, tuer en toute sécurité. Le crime découvert, on cherche dans l'entourage de la victime, on fouille sa vie au hasard, on remue ses papiers. Si le meurtrier n'a jamais été mêlé à son existence, au bout de quelques mois de recherches, après qu'un juge d'instruction entêté ait gardé sous les verrous un pauvre diable dont l'innocence finit par éclater, l'affaire est classée, et les criminels, enhardis par le succès, recommencent, plus forts et plus introuvables cette fois, parce que les maladresses des policiers dont ils ont pu suivre le travail, leur ont enseigné l'art de ne pas se faire prendre.
Et pourtant, quel métier plus passionnant, que celui de chasseur d'homme? Sur un indice à peine perceptible pour d'autres yeux, revivre tout un drame, dans ses moindres détails! D'une empreinte, d'un bout de papier, d'un objet déplacé, remonter à la source même des faits! Déduire de la position d'un corps, le geste du meurtrier; de la blessure, sa profession, sa force; de l'heure où le crime fut commis, les habitudes de l'assassin. Par le seul examen des faits, reconstituer une heure comme un naturaliste reconstitue l'image d'un animal préhistorique à l'aide d'une seule pièce de son squelette... quelles sensations prodigieuses, quel triomphe! L'inventeur en conna?t-il de supérieures, lui qui, pendant des jours et des nuits, s'enferme dans son laboratoire, acharné à trouver la solution d'un problème!... et le but qu'il poursuit lui est immobile. Il sait que la vérité est une et ne se déplace pas, que les événements ne la modifient pas, que tous les pas qu'il fait le rapprochent d'elle; il sait qu'il avance lentement, mais s?rement; que, si la voie qu'il a choisie est bonne, la solution ne peut, à la dernière seconde, lui échapper. Pour le policier, au contraire, c'est l'angoisse de tous les instants, la piste qui se fausse, le but, un instant entrevu, qui dispara?t, le problème renouvelé sans cesse, avec la solution qui s'éloigne, se rapproche, et semble fuir; c'est le cri de triomphe soudain arrêté dans la gorge, la vie multiple, surnaturelle, faite de tous les espoirs, de toutes les craintes de toutes les déceptions; c'est la lutte contre tout, contre tous, exigeant à la fois la science du savant, la ruse du chasseur, le sang-froid du chef d'armée, la patience, le courage et l'instinct supérieur qui seuls font les grands hommes, et, seuls, conduisent aux grandes choses. Ces minutes prodigieuses, songeait Coche, je voudrais les conna?tre, les vivre; je voudrais être parmi la meute inintelligente des policiers qui, demain, battront le terrain, le limier galopant sur la bonne piste. Sans souci du danger et sans le secours de personnel, je voudrais faire ce métier et montrer cette chose extraordinaire: un homme seul, sans ressource, sans autre appui que sa volonté, sans autres renseignements que ceux qu'il aurait su trouver lui-même, arrivant à la vérité, puis, sans cri, sans combat, déclarant le plus simplement du monde, un beau jour:
-- ?à telle heure, à tel endroit, vous trouverez les meurtriers. Je dis qu'ils seront là, non parce que le hasard m'a mis
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