Lépouvante | Page 4

Maurice Level
pas davantage, et poursuivit son chemin. Partout le même calme, nulle trace d'effraction. Il commen?ait à désespérer de rien découvrir, quand, ayant posé sa main contre une porte, il la sentit céder sous sa pression et s'ouvrir.
Il leva les yeux. La maison était obscure, silencieuse, et ce silence lui parut étrangement profond. Il haussa les épaules et murmura:
?Qu'est-ce que je vais chercher? Quel mauvais tour me joue mon imagination à l'heure où j'ai besoin de tout mon sang-froid?... pourtant par quel hasard, cette porte n'est-elle pas fermée??
La porte avait tourné complètement sur ses gonds. Il voyait le petit jardin aux plates-bandes bien soignées, la terre ratissée avec soin, et le sable blond de l'allée qui semblait d'or sous la caresse de la lune. Une hésitation le gagnait maintenant, si forte qu'il décida de continuer son chemin... Tout cela n'était sans doute qu'un roman. Ces r?deurs étaient peut-être de braves ouvriers regagnant leur demeure... et que des malandrins avaient attaqués... Qu'avaient-ils dit, en somme, qui p?t donner corps à ses soup?ons? Leur allure était louche, leurs visages sinistres? Mais lui-même, dans la nuit, apparaissant brusquement ainsi, ne serait-il pas effrayant?...
Le drame se changeait peu à peu en vaudeville. Restait le paquet... Et, s'il ne contenait qu'un vieux réveil et de la ferraille?...
La nuit est une étrange conseillère. Elle met sur les objets et sur les êtres des ombres fantasmagoriques que le soleil dissipe en un instant. La peur, ouvrier diabolique, transforme tout, batit de toutes pièces des histoires, bonnes pour les petits enfants. Nul ne sait à quelle seconde précise elle s'insinue dans le cerveau. Elle y travaille depuis des minutes, des heures qu'on se croit encore ma?tre de sa raison. On pense: ?Je veux ceci. Je vois cela...? Déjà elle a tout bousculé en nous, elle s'est installée, souveraine. Ses yeux sont dans les n?tres, sa griffe fr?le notre nuque... Bient?t nous ne sommes plus qu'une loque orgueilleuse, et, tout d'un coup, un grand frisson nous prend et nous secoue: Dans un effort désespéré nous essayons d'échapper à son étreinte. Peine inutile: les plus braves s'avouent vaincus les premiers. C'est la minute trouble où l'on murmure la phrase redoutable: ?J'ai peur!...? Mais depuis des heures on claquait des dents sans oser s'en rendre compte.
Onésime Coche recula d'un pas, et dit à haute voix:
-- Tu as peur, mon gar?on.
Il attendit, cherchant à démêler l'impression exacte que ce mot allait faire sur lui. Pas un muscle de son corps ne tressaillit. Ses mains restèrent immobiles dans ses poches. Il n'eut même pas cet étonnement fugitif qu'on ressent à entendre résonner sa propre voix dans le silence. Il regardait toujours droit devant lui, et, soudain, il tendit le cou: Dans le sable jaune de l'allée des traces lui étaient apparues, qu'une ombre mince découpait, empreintes de pas, nettes ici, déjà recouvertes par d'autres empreintes. Il revint jusque sous la porte, se baissa et prit dans sa main un peu de sable: C'était un sable sec, au grain très fin et si léger que le moindre souffle devait le déplacer. Il entr'ouvrit les doigts et le vit retomber en une poudre claire. Alors, brusquement, tous ses doutes s'évanouirent avec toutes ses théories sur la peur et les images fantastiques qu'elle suggère. Jamais son esprit n'avait été plus lucide, jamais il ne s'était senti plus calme. Son cerveau travaillait comme un bon tacheron qui abat sa besogne et qui, ayant frappé son dernier coup de marteau, prend la pièce achevée et, le poing tendu, l'élève satisfait à hauteur de son oeil.
Il se ressaisit, ramassa ses idées confuses. Tout ce qui pendant un moment lui avait semblé chimérique lui apparut de nouveau plus que vraisemblable, vrai. Une certitude faite d'indices précis l'envahit. Il abandonna les hypothèses pour des faits contr?lables que son imagination ne pouvait plus travestir. De déductions en déductions -- logiques, cette fois -- il en arriva au point exact d'où il était parti sur une simple impression:
Des pas avaient foulé le sable de l'allée et l'avaient foulé récemment, car le vent, si léger qu'il f?t, n'e?t pas manqué d'effacer les empreintes si elles avaient été anciennes. Les hommes et la femme avaient passé là. Nul autre qu'eux n'avait franchi le seuil de cette maison. Le mystère entrevu dormait derrière ces murs silencieux, dans l'ombre de ces pièces aux fenêtres closes. Une force invisible le poussa en avant.
Il entra.
D'abord, il avan?a avec précaution, évitant de poser ses pieds sur les traces de pas. Bien qu'il s?t que la moindre brise d?t les effacer, il y attachait trop d'importance pour les détruire lui- même. Les cambrioleurs avaient laissé, sans s'en douter, leur carte de visite: le plus maladroit policier de province n'eut pas manqué de la respecter, et d'en faire état, dans la suite. Il se souvint de mille causes sensationnelles où des indices bien
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