Lénore et autres ballades | Page 8

Gottfried August Bürger
aujourd'hui;
écoute ton bon génie et ne te laisse pas guider par l'ennemi des
hommes.
--En avant! en avant! s'écria aussitôt le chevalier de gauche. Que nous
importent les cloches et les hymnes! la chasse seule nous divertit;
suivez des conseils dignes d'un noble seigneur et non des avis bons
pour des moines.
--Bien parlé! mon brave compagnon de gauche! tu me parais un héros
digne de moi. Ceux qui n'osent pas courir le cerf peuvent aller s'asseoir
au lutrin. Pour toi, mon pieux ami, que cela te convienne ou non, je n'en
suivrai pas moins ma fantaisie.»
Il dit et s'élance à travers les champs et les forêts; les deux étrangers ne
quittent pas ses côtés. Voilà qu'un cerf dix cors, d'une blancheur
éblouissante, se montre dans le lointain et fuit rapidement devant eux.
Le cor résonne. Les chasseurs impétueux se précipitent. À la vérité,
quelques-uns tombent et restent expirants sur la place. «Laissez-les,
laissez-les, que Satan les relève, le plaisir du maître ne doit pas en
souffrir.»
Le cerf se cache dans un champ prêt à être moissonné; il croit y trouver
une retraite sûre. Un vieux laboureur se jette aux pieds du comte.
«Miséricorde, Seigneur, miséricorde! ne détruisez pas le fruit des
sueurs du pauvre!»
Le chevalier de droite, s'approche et celui de gauche excite le chasseur
à satisfaire sa passion dévastatrice. Le comte, méprisant les bons avis
du premier, suivit les conseils funestes du second.
«Retire-toi, misérable! s'écrie-t-il d'une voix de tonnerre, hors d'ici, ou,
par le diable, je mets les chiens à ta piste: et vous, faites claquer vos
fouets à ses oreilles, pour qu'il voie que je lui tiendrai parole.»

Ainsi dit, ainsi fait. Il franchit la barrière le premier; tous le suivirent:
hommes, chiens et chevaux, tous foulent aux pieds les épis et la
moisson.
Le cerf épouvanté s'enfuit de nouveau par les plaines et les montagnes;
toujours poursuivi, jamais atteint, il gagne une vaste prairie, et pour
échapper à la mort, il se mêle à un troupeau de vaches paisibles.
Mais voilà que les chiens arrivent de toutes parts; ils reconnaissent la
trace odorante de ses pas et font retentir l'air de leurs aboiements. Le
berger, craignant pour son troupeau, se prosterne devant le comte.
«Miséricorde, Seigneur, miséricorde, laissez en paix mon pauvre
troupeau! Daignez réfléchir qu'il y a là plus d'une vache qui fait la seule
richesse de quelque pauvre veuve. Ne lui enlevez pas tout son bien.»
Le chevalier de droite s'approche encore et renouvelle ses instances;
mais celui de gauche, plein d'une joie maligne, excite le chasseur à
satisfaire sa passion. Le comte, méprisant les bons avis du premier,
suivit les funestes conseils du second.
«Quoi! vil pâtre, tu oses me barrer le passage; je voudrais pouvoir te
changer toi-même en boeuf, je te chasserais toi et tes vieilles sorcières
jusqu'aux nuages du ciel.
«En avant! en avant! compagnons! sus! sus!» Et les chiens se jettent sur
tout ce qui les environne; le berger tombe déchiré de coups, son
troupeau est dispersé et mis en pièces.
Au milieu du carnage le cerf échappe encore, mais déjà sa course est
ralentie; souillé de sang et d'écume, il s'enfonce dans l'épaisseur de la
forêt et se cache au fond d'une chapelle.
Sans repos ni relâche la foule avide se presse sur ses pas, aux
aboiements des chiens, aux cris des piqueurs et au son du cor. L'ermite
paraît alors à la porte de la chapelle et d'une voix suppliante il s'adresse
au comte:

«Abandonne ta poursuite, ne viole pas la maison de Dieu. Les
angoisses de ce pauvre animal, les souffrances de tes victimes
t'accusent déjà devant le Très-Haut. Pour la dernière fois, écoute un
avis salutaire; si tu le méprises ta perte est certaine.»
Le chevalier de droite s'approche de nouveau. Il conjure le comte de
céder à ses instances. Mais celui de gauche, avec une joie méchante,
l'excite à satisfaire sa passion; et, malgré l'avis du premier, le
malheureux se laisse entraîner aux conseils du second.
«Je ne m'effraie pas si aisément, s'écrie-t-il, Quand le cerf s'envolerait
au troisième ciel, je voudrais encore l'y poursuivre: que cela convienne
ou non à Dieu et à toi, vieux prêtre, je suivrai ma fantaisie.
«En avant! en avant! compagnons!» Et il fait retentir son fouet et son
cor. Soudain l'ermite et l'ermitage disparaissent devant lui; derrière lui
ont disparu les hommes, les chevaux et la meute. Tout le fracas de la
chasse tombe englouti dans un vaste silence.
Le comte jette des regards effrayés autour de lui. Il embouche son cor
et ne peut en tirer de son. Il appelle, sa propre voix ne frappe plus son
oreille. Le fouet qu'il agite au-dessus de sa tête retombe muet à son côté.
Il enfonce ses éperons dans les flancs de son cheval, et ne peut
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