Lénore et autres ballades | Page 9

Gottfried August Bürger
ni
reculer ni avancer.
Et cependant l'obscurité s'épaissit toujours de plus en plus, elle devient
semblable à la nuit des tombeaux.........Un bruit sourd, pareil à la
tempête éloignée, se fait entendre. Une voix tonnante lui annonce du
haut des airs cette terrible sentence:
«Tyran voué à l'enfer, toi qui n'épargnes ni l'animal, ni l'homme, ni la
divinité, écoute son arrêt. Le cri de tes victimes et la voix de tes forfaits
t'accusent devant le tribunal où brûle la torche de la vengeance.
«Fuis, monstre! fuis! dés ce moment tu seras poursuivi à jamais par
Satan et sa meute infernale. Tu serviras d'exemple aux princes à venir
qui, pour satisfaire une passion cruelle, ne ménagent rien sur la terre.»

Au même instant une lueur sombre et blafarde éclaire la forêt. Le comte
frissonne, la terreur le glace jusqu'aux os; l'effroi l'environne, un
ouragan impétueux l'assaillit avec fracas.
Au milieu de la tempête, une main noire, horrible et gigantesque sort de
la terre, s'appuie sur sa tête, se referme, et lui tourne le visage sur le
dos.
Autour de lui éclate une flamme bleue, verte et rouge. Une mer de feu
l'entoure de ses flots; il distingue dans ses vapeurs tous les suppôts de
Satan. La horde infernale s'élance vers lui du fond du vaste abîme.
Il fuit à travers les champs et les bois qui retentissent de ses cris
douloureux. Mais la meute furieuse le poursuit sans cesse, le jour dans
les profondeurs de la terre, la nuit dans l'espace des airs.
Son visage est resté tourné sur son dos. Dans sa fuite rapide il voit
toujours les monstres excités contre lui par l'esprit des enfers. Il les voit
grincer des dents et chercher à le saisir.
C'est la chasse infernale qui durera jusqu'au jour du jugement, et qui
souvent, dans la nuit, vient effrayer l'habitant des forêts. Maint chasseur
pourrait en raconter de terribles récits, s'il avait le courage d'en parler.

LENARDO ET BLANDINE
L'amour le plus tendre enflammait les regards de Lenardo et de
Blandine. Blandine était la plus belle des princesses: Lenardo le plus
beau de tous les pages.
De tous côtés, princes, ducs et comtes, couverts d'or et de diamants,
accouraient pour disputer la main de la plus belle des princesses.
Mais, ni l'or, ni les bijoux, ni les diamants ne plaisaient à son coeur
comme la fleur modeste cueillie par le beau page.
Si Lenardo n'était pas issu d'une illustre origine, il possédait de nobles

sentiments. Le valet et le chevalier sont tous deux créés d'un peu de
boue. L'élévation de l'âme est la seule noblesse.
Un jour la princesse, entourée d'une foule joyeuse de courtisans, se
reposait sous un pommier. Elle savourait avec délices les fruits que
cueillait l'agile Lenardo.
Elle choisit dans sa corbeille d'argent une pomme aux couleurs d'or et
de pourpre. Elle la lui présente et lui dit:
«Prends cette pomme, qu'elle soit la récompense de tes soins. Les
meilleurs fruits ne sont pas tous pour les princes. Celui-ci est séduisant
au dehors: je souhaite que ce qu'il contient te plaise encore davantage.»
Le page se dérobe aux regards importuns. Retiré dans sa retraite, il
ouvre le fruit précieux. O surprise! une tablette y était adroitement
cachée. Il lit ces mots:
«O toi, plus aimable que les comtes et les seigneurs! toi dont les
sentiments sont plus nobles et plus tendres que ceux des hommes sortis
de races antiques.
À l'heure de minuit, abandonne le lit et le sommeil. Rends-toi sous
l'arbre qui porte la pomme de l'amour. Le bonheur t'y attend. C'est t'en
dire assez.»
Cette nouvelle parut au page si heureuse et si surprenante, qu'il en
douta longtemps. Son coeur flottait entre l'ivresse de l'amour et les
tourments de l'incertitude.
Mais, à l'heure de minuit, à l'heure où les astres innombrables
abaissaient leurs regards silencieux sur la terre, il sort de son lit, il
abandonne le sommeil, et se rend au jardin, au lieu désigné.
Il attendait assis sous l'arbre de l'amour; un bruit léger se fait entendre,
le gazon est pressé par des pieds délicats; avant que Lenardo se soit
retourné, deux bras d'albâtre l'enlacent, et une haleine suave a passé sur
son visage.

Il veut parler; des baisers voluptueux ferment ses lèvres, et, sans qu'un
mot ait été prononcé, une main caressante l'entraîne.
Blandine le conduit avec précaution et d'un pas timide «Viens, mon ami,
viens avec moi: la brise nocturne est glacée. Il n'est ici aucun abri.
Viens dans ma chambre discrète.»
À travers les épines, les pierres et les ronces, ils arrivent à une ancienne
grotte faiblement éclairée par la pâle lueur d'une lampe; ils traversent
un long souterrain.
Princes, seigneurs et gardes, tout dormait. Mais hélas! veillait la noire
jalousie. Lenardo! Lenardo! quel sera ton sort avant que le coq ait fait
entendre le chant du matin!
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