Lénore et autres ballades | Page 6

Gottfried August Bürger
mots, la jeune fille s'enfuit comme une biche légère. Pour lui, il soupira profondément, et s'essuya les yeux pour retrouver la vue. Il lan?a ensuite son cheval en tous sens. La sueur inondait la croupe du noble animal. Enfin il prit une résolution et s'y arrêta.
Il fit retentir son cor d'argent du haut de ses tours et aussit?t une foule de vassaux fidèles accourut à la hate. Il les prit chacun en particulier, et leur donna de secrètes instructions. ?Soyez tous prêts et attentifs au signal de mon cor.?
La nuit avait couvert de ses voiles sombres les montagnes et les vallons. Les lampes du chateau de Hochburg avaient cessé de briller. Tout dormait; Gertrude seule veillait en pensant au chevalier.
Voilà qu'un doux son d'amour s'élève du pied de la muraille. ?Me voici, ma Gertrude; allons, descends, c'est moi, c'est ton chevalier qui t'appelle; l'échelle est prête, et mon coursier va nous emporter loin d'ici.
--Oh! non, mon Charles, non! cesse de tenir ce langage; si je fuyais seule avec toi je serais déshonorée; mais qu'un dernier baiser d'amour nous console avant que je sois vêtue de la robe des morts.
--Eh quoi! sur ma parole de chevalier tu pourrais asseoir le monde: tu peux me confier, avec courage et franchise, ton honneur et ta personne. Nous irons chez ma mère et le prêtre nous unira. Viens, tu es en s?reté, abandonne-toi au ciel et à moi.
--Mais, mon père, un baron de l'empire, si fier de ses ancêtres et de sa noblesse! Sa colère me fait déjà trembler. Il n'aura de repos ni jour ni nuit avant de t'avoir arraché le coeur, et de l'avoir jeté devant mes pieds.
--Songe seulement à te bien tenir en selle, et nous n'avons plus rien à craindre. L'Orient et l'Occident nous sont ouverts. Mais ne tarde pas davantage. écoute! il me semble entendre du bruit. Pour l'amour de Dieu! hate-toi! Viens! La nuit a des oreilles. Si tu hésites, nous sommes perdus!?
La jeune fille trembla, elle hésita; le frisson parcourait ses membres; il saisit sa main d'albatre et l'entra?na sur son coeur. Oh! quel embrassement mêlé de désir et de refus, de plaisir et de crainte, sous les regards silencieux des étoiles voyageant dans l'immensité des cieux!
Il prit son amie entre ses bras, la pla?a sur son cheval polonais, et se mit lui-même derrière elle, rejetant son cor sur ses épaules. Il donne de l'éperon, et Hochburg les vit s'éloigner rapidement.
Mais, hélas! la nuit entend tout, et aucune parole ne fut perdue. Dans la chambre voisine veillait la gouvernante de Gertrude. Le coeur pressé par l'appat du gain et la soif de l'or, elle s'élan?a en sursaut pour tout découvrir au vieillard.
?Debout, debout, noble baron quittez votre lit. Votre fille s'est enfuie, elle vous couvre de honte et de chagrin. Déjà Charles d'Eichenhorst traverse avec elle les forêts et les plaines; ne perdez pas un instant si vous voulez les rejoindre!?
Au même instant le baron saisit ses armes, parcourt le chateau, et appelle ses vassaux. ?à cheval! mon gendre, prends ton épée et ta lance; on enlève ta fiancée, courons au ravisseur.?
Le jour allait para?tre; les deux amants s'avan?aient avec rapidité. Un bruit sourd comme celui de l'orage éloigné se fait entendre. Bient?t ils distinguaient des pas de chevaux. Plump, furieux, arrive sur eux à bride abattue; il les dépasse, et sa lance siffle aux oreilles de Gertrude épouvantée.
?Arrête, arrête, larron d'honneur; ta proie est de peu de valeur; mais n'importe, affronte une lance, et nous verrons si tu enlèveras encore des fiancées. Et toi, courtisane vagabonde, arrête, que ma vengeance t'étende à c?té de ton séducteur, et que l'infamie vous couvre tous deux!?
--Tu mens, Plump de Poméranie, j'en jure par Dieu et mon honneur de chevalier. Descends, que mon épée t'enseigne la courtoisie. Arrête, Gertrude. à pied, monsieur l'insolent, que je vous donne une le?on de politesse!?
Oh! quelle fut la douleur de Gertrude à la vue des glaives étincelants! Les premiers rayons de l'aurore vinrent briller sur leurs lames acérées. L'écho s'éveilla autour d'eux au cliquetis de leurs armes, et la terre fumait sous leurs pas.
L'épée du chevalier terrassa son discourtois ennemi comme un coup de foudre. L'amant de Gertrude ne re?ut point de blessure, et Plump ne se releva plus. Mais, hélas! que le ciel les protège! à peine le combat était-il terminé, que les autres arrivèrent en toute hate.
Alors le cor de Charles retentit dans la forêt, et ses vassaux se précipitèrent de tous c?tés. ?Arrête, baron, écoute-moi; regarde, vois-tu ces guerriers? ils sont prêts au combat et n'attendent que mon signal.
Arrête, écoute-moi, évite de longs repentirs. Ta fille m'a donné sa foi depuis longtemps, elle a re?u la mienne. Pourrais-tu déchirer nos deux coeurs! Ses larmes et son sang iront-ils t'accuser devant Dieu et les hommes? Si tu le veux, avance, et nous
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