Lénore et autres ballades | Page 7

Gottfried August Bürger
allons combattre.
Mais écoute encore un instant: je t'en conjure au nom du ciel, avant que tu te rendes la proie du remords. Mon amour pour ta fille a toujours été pur et sans tache. Mon père, accorde-moi sa main, le ciel m'a donné des richesses et surtout une noblesse qui ne craint aucun reproche.?
Oh! comme Gertrude, pleine d'angoisses et de craintes, se flétrit de la paleur de la mort! Son père, bouillant de colère, semblait une fournaise ardente. Elle se jeta à terre, et se tordit les mains en versant un torrent de larmes.
?Oh! mon père, ayez pitié de votre fille! Que le ciel vous pardonne, comme vous nous pardonnez! Croyez-moi, mon père, je ne me serais jamais décidée à fuir, sans mon aversion pour Plump.
Combien de fois m'avez-vous bercée sur vos genoux et portée dans vos bras! Combien de fois m'avez-vous appelée votre fille chérie, la consolation de votre vieillesse! Oh! mon père, rappelez-vous ces temps passés! Ne détruisez pas mon bonheur, et songez que du même coup vous tuez votre fille!?
Le vieux baron détourna la tête, et passa la main sur son front bruni par le soleil. Son coeur était touché et son regard attendri; mais il ma?trisa son émotion pour empêcher les pleurs de faire honte à son caractère de chevalier.
Enfin, la colère et le ressentiment durent céder à la tendresse paternelle: un torrent de larmes vint inonder ses yeux. Il releva sa fille prosternée à ses pieds; et, laissant un libre cours à son amour pour elle, il se sentit presque défaillir d'un mal doux et enchanteur.
?Eh bien! que Dieu me pardonne mes torts, comme je te pardonne les tiens. Je te rends toutes mes affections, je te les rends devant le Dieu du ciel;? et se tournant vers le chevalier: ?Qu'elle soit ton épouse, re?ois sa main; et avec elle ma bénédiction!
Viens, sois mon fils, je serai ton père. J'ai déjà oublié toute offense. Ton père fut jadis mon ennemi mortel, il me causa bien des tourments; c'était lui que je ha?ssais dans son fils.
Répare ses erreurs, mon fils, et que ma fille et moi nous trouvions la récompense de ma bonté dans la bonté de ton coeur. Que celui qui veille sur nous, que Dieu vous bénisse, dans vous et votre postérité.?

LA CHASSE INFERNALE[12]
Le cor retentit, on entend les cris du départ. Le coursier du comte hennit et s'élance. Derrière lui se précipitent les valets et les piqueurs; détachés de la lesse[13], les chiens frappent l'air de leurs aboiements, ils se jettent à travers les champs, les ronces et les prairies.
C'était le jour consacré au repos et à la prière. Les rayons du soleil doraient le clocher, tandis que le son harmonieux et mesuré des cloches appelait les chrétiens à l'office du matin. Déjà s'élevaient vers le ciel les chants pieux des fidèles assemblés.
Le comte passait à un endroit où les chemins se croisaient, les cris de ses chasseurs s'élevaient plus joyeux. Tout à coup deux cavaliers sont à ses c?tés. Celui de droite était monté sur un coursier blanc, comme la neige, celui de gauche sur un coursier, couleur de feu.
Le premier, dans tout l'éclat du printemps de la vie, brillait d'une beauté céleste. Le second, pale et livide, lan?ait des regards pareils aux éclairs dans la tempête. Ce qu'ils étaient, je le soup?onne; mais, qui pourrait l'affirmer?
?Soyez les bienvenus, Chevaliers; vous arrivez à propos. Sur la terre ou dans le ciel il n'est rien de préférable au plaisir de la chasse.? Le comte parlait ainsi d'un air d'enthousiasme, et exprimait par ses gestes son ardeur et sa joie.
--Le son du cor s'accorde mal avec la voix pieuse des cloches et les chants du matin, lui dit d'un ton plein de douceur son compagnon de droite; reviens sur tes pas, ta chasse ne peut être heureuse aujourd'hui; écoute ton bon génie et ne te laisse pas guider par l'ennemi des hommes.
--En avant! en avant! s'écria aussit?t le chevalier de gauche. Que nous importent les cloches et les hymnes! la chasse seule nous divertit; suivez des conseils dignes d'un noble seigneur et non des avis bons pour des moines.
--Bien parlé! mon brave compagnon de gauche! tu me parais un héros digne de moi. Ceux qui n'osent pas courir le cerf peuvent aller s'asseoir au lutrin. Pour toi, mon pieux ami, que cela te convienne ou non, je n'en suivrai pas moins ma fantaisie.?
Il dit et s'élance à travers les champs et les forêts; les deux étrangers ne quittent pas ses c?tés. Voilà qu'un cerf dix cors, d'une blancheur éblouissante, se montre dans le lointain et fuit rapidement devant eux.
Le cor résonne. Les chasseurs impétueux se précipitent. à la vérité, quelques-uns tombent et restent expirants sur la place. ?Laissez-les, laissez-les, que Satan les relève, le plaisir du ma?tre ne doit pas en souffrir.?
Le cerf se
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