Lénore et autres ballades | Page 4

Gottfried August Bürger
ne répareront pas mon honneur. Si tu étais sincère quand tu juras de m'épouser, répète ce serment devant l'autel et sous la main du prêtre.
--Petite fille, je ne l'entendais pas ainsi. Comment pourrais-tu devenir mon épouse? Ne sais-tu pas que je suis d'une noble famille? L'alliance ne peut exister qu'entre égaux: mes ancêtres rougiraient de moi si j'agissais autrement. Je veux tenir ma parole comme je l'ai donnée. Tu seras toujours mon amante: si mon piqueur te pla?t, je te donnerai une bonne dot, et je te garderai mon amour.
--Que l'enfer soit ton partage, homme odieux et perfide! Si tu crains de te déshonorer en m'épousant, pourquoi m'as-tu trouvée digne d'être déshonorée par ta flamme coupable?
Va, prends une femme d'un sang illustre comme le tien. Ton tour viendra: Dieu est juste, il entend et conna?t tout. Un valet souillera ta noble couche.
Alors, tra?tre, tu sentiras quel bien cela fait de perdre honneur et bonheur; tu frapperas ton front avili contre les murs, et de ta main tu te donneras la mort!?
Elle se lève, le désespoir dans le coeur: elle court à travers les ronces et les épines, les joncs et les marais, ses pieds étaient tout en sang, et sa tête égarée par le délire.
?Où irai-je, Dieu de miséricorde! Où irai-je! à qui puis-je m'adresser sur la terre, après avoir perdu honneur et bonheur!? Elle revint enfin au jardin du Pasteur pour y terminer sa vie et ses souffrances.
Ses pieds et ses mains étaient déchirés; elle chancelle et tombe dans le bosquet fatal: les douleurs la saisissent sur un lit de feuilles mortes et de branches couvertes de neige.
Là, au milieu des tourments les plus affreux, elle donne le jour à un fils; et aussit?t tirant de ses cheveux une longue épingle d'argent, elle la plonge au coeur de son enfant.
à peine a-t-elle commis le crime, que son délire cesse et que sa raison revient.
L'effroi la saisit: ?Oh! mon Dieu! mon Dieu! qu'ai-je fait!? et elle se tord les bras.
Elle creuse avec ses mains sanglantes une fosse au bord du marais fangeux:--?Repose en paix, mon pauvre enfant; ici tu es pour toujours à l'abri de la misère et du mépris. Moi je serai la pature des corbeaux.?
C'est là que se promène la petite flamme sur les bords de l'étang marécageux: sa lumière est faible et triste. C'est là qu'est la place où ne cro?t aucune herbe, et que n'arrosent ni la pluie ni les rosées; c'est là que le vent rend des sons si lugubres.
Derrière le jardin on a élevé la pierre des Corbeaux[11], et du haut de la roue pend une tête de mort décharnée: c'est la tête de la jeune fille; elle regarde la petite fosse placée à trois palmes de l'étang fangeux.
Toutes les nuits une figure pale et livide, se glisse au bas de la roue et cherche à éteindre la flamme dans ses mains; mais elle ne peut y parvenir, et elle gémit sur les rives du marais.

LE FRèRE GRIS ET LA PèLERINE
Une jeune et belle pèlerine s'approcha de la porte du couvent; elle sonna, et un frère gris, pieds nus, se montra à demi.
--Jésus-Christ soit loué! dit-elle.
-Dans toute l'éternité! répondit-il; et, levant les yeux sur elle, une émotion soudaine le saisit et son coeur battit fortement.
--Respectable frère, n'est-ce pas dans la solitude de ce couvent que se cache l'ami de mon coeur? demanda la pèlerine à demi-voix et avec une touchante modestie.
--Fille de Dieu, à quoi puis-je reconna?tre l'ami de ton coeur?
--à son cilice, à sa discipline, à sa ceinture de corde et à son baton de saule; mais mieux encore à sa taille élancée, à son visage brillant comme une aurore de mai, aux boucles d'or de sa chevelure, à ses yeux d'azur, et à son coeur bon, aimable et fidèle.
--Fille de Dieu, depuis longtemps il est mort et enseveli, un marbre bien lourd le couvre; l'herbe siffle déjà sur sa tombe, car il y a longtemps qu'il est mort et enseveli.
Vois-tu là-bas la fenêtre de sa cellule, entourée de lierre? Là il vécut pleurant les torts de son amie; là il s'éteignit comme une lampe qui manque d'aliment.
Aux sons de l'hymne funèbre, six jeunes filles le portèrent à sa dernière demeure: plus d'une larme suivit le cercueil dans la tombe.
--Oh! malheur! malheur! Il n'est donc plus! Il est mort et enseveli! Oh mon coeur brise-toi! car tu es coupable.
-Ma fille, prends courage, ne pleure pas, mais élève ta prière vers Dieu. En vain le chagrin déchire le coeur, en vain les yeux s'éteignent dans les larmes: cesse donc d'en verser.
--Oh! non, non! respectable frère. Ne blame pas mes larmes. Il était la joie de mon coeur. Jamais sur la terre il n'y eut un amant si tendre et si fidèle!
Laisse-moi pleurer et gémir nuit et jour, jusqu'à ce que mes yeux s'éteignent dans
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