esprits: on y entend des bruits étranges, semblables à un murmure plaintif, et quelquefois à un pénible gémissement: on croit distinguer aussi les efforts et la lutte d'une colombe qui se débat entre les serres de l'épervier.
Une flamme se promène lentement au bord de l'étang marécageux; sa lumière est faible et triste. On voit une petite place qui ne produit aucune herbe et que n'arrosent ni la pluie ni les rosées: le vent en passant sur cet endroit rend des sons lugubres.
La fille du pasteur de Taubenhain était innocente comme la tourterelle: encore au printemps de la vie, pleine de graces[9] et de beauté, elle était l'objet des hommages d'une foule d'amants qui tous désiraient obtenir sa main.
De l'autre c?té de la rivière, et sur le sommet du rocher, on voyait un superbe chateau, dont les murs brillaient comme l'argent, et les toits comme l'acier aux yeux des paisibles habitants de la vallée.
Là vivait au sein des plaisirs le jeune chevalier de Falkenstein[10]. Le chateau plaisait à la vue de la jeune fille, mais le chevalier revêtu de l'élégant costume du chasseur, plaisait encore mieux à son coeur.
Il lui adresse une lettre écrite sur un papier orné de filets d'or: sa lettre accompagnait son portrait adroitement caché dans un coeur d'or et de perles, avec une bague en diamant; elle disait:
?Laisse soupirer en vain, ma Rosette, cette foule d'amants qui t'obsède. Quelque chose de mieux t'est réservé. Tu es digne du plus brillant chevalier qui ait jamais possédé terres et serfs.
? J'ai un mot bien doux à te dire, mais il faut que ce soit en secret, et je voudrais obtenir de toi une réponse favorable. à l'heure de minuit, je serai près de toi; alors rassemble ton courage, et chasse la crainte.
? à l'heure de minuit, l'appeau imitera le chant de la caille, dans les blés, derrière le jardin; et la fl?te fera entendre les accents harmonieux du rossignol qui appelle sa compagne. Alors, rassemble ton courage et ne me fais pas attendre.?
à l'heure de minuit, il arriva, furtif et silencieux comme le brouillard. Il était enveloppé d'un large manteau, et n'avait pas oublié ses armes. Il s'approcha du jardin avec précaution et fit taire les chiens vigilants en leur jetant du pain.
Alors l'appeau imita le chant de la caille, la fl?te fit entendre les accents harmonieux du rossignol qui appelle sa tendre compagne, et Rosette ne se laissa pas attendre.
Il pronon?a le mot si doux à l'oreille et au coeur. Hélas! une amante a tant de confiance; il mit tant d'art et d'adresse à écarter la résistance que la pudeur lui opposait.
Il promit, par tout ce qui est sacré, d'être toujours fidèle: il invoqua les noms les plus respectables et lui jura qu'elle n'aurait jamais de regrets: elle résistait encore, mais faiblement.
Enfin il l'entra?na dans le bosquet sombre et silencieux, embaumé du parfum des pois odorants: son coeur battait avec force, son sein se gonflait, et l'haleine br?lante de la volupté flétrit bient?t son innocence.
Et quand sur la terrasse parfumée, les pois se fanèrent, la pauvre fille sentit un malaise inconnu: ses joues couleur de rose, devinrent pales comme la neige, et le feu de ses yeux s'éteignit.
Et quand les graines commencèrent à se former, quand la fraise rougit et que la cerise se colora, le sein de Rosette devint oppressé et sa ceinture trop étroite.
Et quand le temps arriva de faucher les prairies, elle sentit les premiers mouvements de l'enfant qu'elle portait.
Et quand le vent du nord vint siffler à travers les chaumes, il lui fut impossible de cacher son état.
Son père, homme sévère et emporté, s'en aper?ut, et fit éclater sa colère:--Puisque ta faute a causé ta honte, fuis loin de moi, et songe que le lit nuptial soit prêt en même temps que le berceau de ton enfant.
Et d'une main saisissant une courroie, de l'autre ses longs cheveux, il couvrit de coups et de meurtrissures sa peau blanche et délicate.
Puis il la mit hors de la maison: la nuit était noire et terrible. Le vent secouait des nuages une pluie glacée. Elle se tra?na jusqu'au sommet du rocher escarpé, et chercha à tatons la porte du chateau pour confier sa peine à son ami.
--Hélas! malheur à moi! tu m'as rendue mère avant d'être épouse: je suis déshonorée et mon corps, déchiré de coups, porte le témoignage de ma douloureuse récompense!
Elle se jette à son cou, et l'inonde de larmes amères:--Oh! répare le mal que tu m'as fait: tu m'as ?té l'honneur, rends-le moi, je t'en conjure.
--Pauvre petite, répond-il, je suis faché de la violence de ton père, nous nous en vengerons; en attendant, sois tranquille, entre dans mon chateau, je veux avoir soin de toi: nous parlerons du reste un autre jour.
--Hélas! il n'y a pas à différer: les soins que tu prendras de moi,
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