voulez pas me le confier..., je lui apprendrais tant de belles
choses!
--Oh! ce serait avec plaisir, monsieur Vincent. Mais vous savez bien
qu'il reste à la campagne, chez sa grand'mère. Pour qu'on me l'ait prêté
huit jours, il a fallu la croix et la bannière... Et puis l'air est si bon
là-bas!...
M. Vincent n'insista pas. Il embrassa encore une fois l'enfant et disparut
dans le long corridor. Il semblait rajeuni, en vérité.
Gaston s'approcha:
--C'est bien le savant M. Vincent Thévenin qui vient de rentrer?...
--Oui, monsieur. Ah! oui, un savant, et puis un si brave homme! Le
père aux enfants, quoi! Et ils le savent bien, les petits gueux; ils lui
soutirent des sous toute la journée.
--Il demeure ici?...
--Depuis dix ans...
--Je l'ai un peu connu autrefois. Il me paraît bien vieilli...
--Ne vous y fiez pas! Tenez, il y a six mois, il était si cassé qu'il n'avait
plus que le souffle. Tout à coup, patatras! ç'a été comme un coup de
baguette. Je ne sais pas ce qu'il avait inventé pour se soigner, mais en
moins de six semaines il était retapé... là... à neuf! au point que, si
j'avais été veuve...
Elle rit franchement, en femme qui peut se permettre un peu de
gauloiserie sans que personne y trouve à critiquer.
--Mais quel âge lui donnez-vous? ajoutai-je.
--Oh! un zeste! dans les quatre-vingt-quinze... au moins.
--Voilà l'homme, reprit Gaston quand, nous étant éloignés, nous eûmes
repris notre promenade. Très estimé, très respecté, aimant les enfants.
Qu'en dis-tu?
--Rien. J'attends son histoire.
--Elle est fort simple, en somme, j'entends pour nous qui, en fait de
science, n'admettons guère l'impossible. M. Vincent de Bossaye de
Thévenin est le dernier descendant d'une grande famille qui a émigré
pendant la Révolution française. Son père était un des cent actionnaires
à 2,400 livres du fameux Mesmer, qu'il suivit en Suisse où, comme tu
le sais, le célèbre thaumaturge résida jusqu'à sa mort, survenue en 1815.
M. de Bossaye père rentra en France avec les Bourbons et mourut
bientôt après, laissant un fils, celui qui nous occupe. Vincent suivit les
leçons de Carra et de Saussure, conquit ses grades dans la médecine et
s'attacha au fameux Deleuze, qu'on surnommait, sous la Restauration,
l'Hippocrate du magnétisme animal.
«Dès lors, il rompit en visière avec la routine académique, fut pendant
quelques années secrétaire de la Société magnétique fondée par le
marquis de Puységur et devint enfin l'ami, le secrétaire, l'alter ego du
marquis de Mirville, directeur de la Société d'Avignon et auteur d'un
très étrange ouvrage sur _les esprits et leurs manifestations fluidiques_.
J'interrompis vivement Gaston, m'écriant:
--En somme, ce grand savant est un spirite... un fou!
--Pourquoi t'emporter ainsi? reprit Gaston en souriant. L'homme qui, il
y a cent cinquante ans, aurait prévu l'éclairage électrique des gares de
chemins de fer eût paru digne d'être enfermé aux Petites-Maisons. La
science part d'un fait minime et grandit par les hypothèses. Un fou!
continua-t-il en s'animant; crois-tu que Crookes, qui a découvert un
métal nouveau, le thallium; qui a posé l'irritante énigme du radiomètre,
dont le fonctionnement visible reste encore inexpliqué, soit un fou? Eh
bien! étudie ses dernières recherches et dis-moi si tu ne sens pas
ébranlé en toi quelque chose que tu jugeais bien solide. Mais revenons
à M. Vincent. Depuis 1825, environ, cet homme--en qui se combine
l'étonnante patience du fakir avec l'active persévérance du chercheur--a
été le chef universel, reconnu et respecté, de cette bizarre population de
magnétiseurs et de magnétisés, beaucoup plus nombreuse qu'on ne le
croit, dont la bonne foi ne peut être suspectée et qui a les passions, les
vaillances de l'apostolat. Alexandre Bertrand, Georget, furent ses élèves,
et cependant jamais Thévenin n'a permis que son nom fût prononcé. Il
n'intervint pas directement dans la fameuse querelle avec l'Académie
qui, en dépit du rapport d'Husson, se termina par un refus absolu de la
docte compagnie de prendre le magnétisme au sérieux. Tu n'ignores pas
que cette décision date de 1837, sur l'initiative du docteur Dubois
d'Amiens.
«Le docteur Thévenin ne protesta pas: au contraire, il sembla se
désintéresser de la question, et rompit avec ses adeptes. Mais je sais de
source certaine qu'il n'abandonna pas ses études. L'homme de qui je
tiens tous ces détails et qui a été un des derniers élèves de Thévenin m'a
déclaré, quelques mois avant sa mort que la science de son maître
l'épouvantait--c'est le propre terme qu'il a employé. Et il ajoutait:
«--Ne croyez à aucune jonglerie, à aucun charlatanisme, non plus qu'à
une de ces déséquilibrations cérébrales qui peuvent tout expliquer par
un intérêt d'argent ou d'orgueil, sinon par la folie. M. Vincent est
l'homme le plus froid, le plus strictement positif que j'aie rencontré de
ma vie. Jamais il n'a procédé par à-coups, c'est-à-dire en laissant au
hasard
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