Lélixir de vie | Page 4

Jules Lermina
d'internat, ne nous causent point le centième de l'effet que
nous ressentons au chevet de nos premiers malades.
Mon coeur s'était subitement contracté et je m'étais senti pâlir.
La pauvre enfant était blanche, si blanche qu'elle semblait n'avoir plus
une seule goutte de sang dans les veines: sous les paupières, aux bords
bleuis, le globe de l'oeil apparaissait terne, grisâtre, et les mains
s'étendaient, longues et maigres, sur les draps d'où leur pâleur ressortait
encore.
--Une bougie! demandai-je vivement.
Et je me penchai sur ce lit, examinant avec une attention profonde ce
pauvre être que la mort avait déjà frappé de son doigt, en signe
d'irrévocable appel. C'était l'anémie à son dernier période.
Mais quelle lésion pouvait avoir déterminé cet état?
La mère, interrogée, me répéta, avec plus de détails, que sa fille s'était
toujours bien portée, qu'elle était--six mois auparavant--d'une santé
parfaite, que tout le monde admirait cette fleur vivace et saine en qui se
devinait déjà la jeune fille.
--Et il n'y a pas à dire, continuait la pauvre femme en pleurant, qu'il y
ait eu le moindre changement dans notre vie. Il y a trois ans que nous
demeurons ici. L'appartement est aéré, donne sur des jardins. Je
n'envoie pas Pauline à l'école; c'est notre voisin, M. Vincent, qui lui
donne des leçons, et il est trop raisonnable pour l'avoir poussée trop
vite.

En vérité, j'avais presque peur de toucher cette frêle créature dont
l'épuisement si subit m'épouvantait en me paraissant inexplicable.
Cependant je ne pouvais me convaincre qu'il n'existait aucun moyen de
la sauver. Aidé de sa mère, j'auscultai l'enfant avec un soin minutieux,
et je constatai--avec une véritable stupeur--qu'elle était admirablement
conformée; le coeur était intact et je n'y percevais point le souffle
caractéristique de l'anémie, non plus que dans les vaisseaux du cou.
Les poumons étaient intacts et bien développés. Sous cette maigreur
d'étisie, la charpente vitale était exceptionnelle. Aucun symptôme de
lymphatisme.
La mère n'était point pauvre: avec une petite pension qui lui venait de
son mari, ancien garde de Paris, elle possédait une rente de deux mille
francs. De plus, le vieillard dont elle m'avait parlé, M. Vincent, prenait
pension chez elle et payait largement.
Par malheur, la jeune fille n'avait suivi aucun traitement régulier, avec
un entêtement qui provient d'une défiance irraisonnée, la mère n'avait
jamais appelé le médecin, se contentant de remèdes anodins, eau
ferrée--des clous dans une carafe--que sais-je?
Et maintenant j'étais contraint de m'avouer à moi-même que tous mes
efforts, pour ranimer cet organisme si étrangement épuisé,
n'aboutiraient même pas à une prolongation d'existence, fût-ce de
quelques jours.
Je restais là, abattu, vaincu, attendant avec découragement une
inspiration qui ne pouvait me venir.
La mère me contemplait, silencieuse, devinant sans doute les pensées
poignantes que trahissait mon visage. Je ne savais pas encore cacher
mon impuissance sous une phraséologie banale et consolatrice. Je ne
m'en fais pas un mérite, le médecin devant agir sur le cerveau comme
sur les autres organes.
A ce moment nous entendîmes un bruit de pas dans la première pièce.

--C'est M. Vincent, dit la mère.
La porte s'entr'ouvrit doucement; mais au même instant, je vis le corps
de la jeune fille se soulever, sa tête se tourner, ses mains se tendre du
côté où ce bruit--presque imperceptible--s'était produit.
Je soutins l'enfant et, à ma grande surprise, je sentis un effort suprême
dans ce pauvre corps, comme si elle voulait s'échapper de mes bras: la
porte s'était refermée, et la jeune fille retomba, morte!...
Je poussai un cri, à la fois surpris et désespéré. Cette mort si rapide,
sans agonie--cette extinction subite de la flamme vitale--me stupéfiait
et j'éprouvais une sorte de colère contre mon inintelligence. Car, en
vérité, je ne comprenais rien à ce qui venait de se passer sous mes yeux;
il me semblait que j'étais en proie à un cauchemar.
La mère, avec une clameur navrée, s'était jetée sur le pauvre corps
immobile. Je m'écartai du lit et machinalement, comme embarrassé de
l'inutilité de ma présence, j'ouvris la porte et je pénétrai dans la
première pièce.
Ce fut alors que je vis pour la première fois M. Vincent.
Vêtu de couleurs claires, il portait un habit gris, presque blanc. Il était
de taille moyenne, assez replet; mais ce qui me frappa tout d'abord,
c'est qu'il me fut impossible de lui attribuer un âge positif. Les cheveux
étaient blancs, court frisés et formant trois pointes bien dessinées sur
son front et sur ses tempes. Mais le visage était si frais, si rosé, les yeux
étaient éclairés d'une lueur si vive qu'en vérité je me demandais si
j'avais en face de moi un vieillard ou un jeune homme, qui, par une
prédisposition moins rare qu'on ne le croit généralement et tenant au
tissu pigmentaire, aurait eu dès l'adolescence les cheveux décolorés.
Et pourtant je me
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 21
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.