Lélixir de vie | Page 3

Jules Lermina
foi en moi, en ma passion de travail, en la science qui est
indulgente à qui l'aime sincèrement.
Je me mis donc résolument à l'oeuvre, prenant pour objectif prochain
l'agrégation, que j'étais décidé à poursuivre, tout en commençant à
pratiquer. J'étais robuste, j'étais sobre; en résumé, je me trouvais en
conditions excellentes, et je dois d'autant mieux le reconnaître
qu'aujourd'hui je suis arrivé, et au delà, au but que je m'étais fixé.
Ce serait coquetterie de ma part que d'insister sur la dureté des premiers
temps, que je regrette peut-être quelquefois, ces temps de jeunesse où
paraît si bon le pain arrosé d'un verre d'eau. En somme, j'étais, dès mes
débuts, convenablement logé; grâce à ces fournisseurs
complaisants--que quelques-uns appellent rageusement des
créanciers--et qui furent en vérité mes bailleurs de fonds, puisque à qui
n'a pas de capital, il faut bien, sous peine de mort que des avances
soient faites, j'étais proprement meublé, confortablement vêtu, et, si
j'économisais quelque peu sur la nourriture, en fait nul n'y prenait garde,
tant j'avais bonne allure et saine physionomie.

Je ne dirai pas que les clients se portassent en foule chez moi:
j'obéissais pourtant avec religion aux prescriptions volontaires que
j'avais gravées à la fois, et dans ma conscience, et sur la plaque de
cuivre clouée près de la porte cochère: «Docteur-médecin,
consultations de deux à cinq heures»--la bonne mesure, comme on voit.
Je n'étais guère dérangé dans mes travaux, et j'aurais pu, s'il m'avait plu,
manquer parfois à la consigne que j'avais édictée. Mais j'avais le
respect de la parole donnée, et aussi--jugez donc!--s'il était venu un
client en mon absence! J'avais même peine à sortir de chez moi avant
six heures et, après un rapide et frugal repas, je me hâtais de rentrer,
redoutant toujours de laisser échapper l'occasion qui ne pouvait
manquer de se présenter.
Inutile de dire que je soignais d'ailleurs toute la maison en amateur.
Un soir de septembre, j'avais allumé ma lampe de bonne heure et je
piochais avec acharnement, songeant au jour où il me serait donné de
proclamer mes idées et mes théories du haut d'une chaire, quand je fus
arraché à ma placidité par un violent coup de sonnette.
Tressautant sur ma chaise, je me hâtai vers la porte et j'ouvris, tenant
une lampe élevée pour examiner le visage du visiteur.
C'était une dame vêtue de noir, mais dont l'extérieur ne présentait aucun
des caractères romanesques qu'on pourrait supposer. Traits assez
communs, quarante ans, de l'embonpoint.
Elle pleurait. Je m'empressai de l'introduire dans mon «cabinet de
consultation» et, avec une certaine loquacité, je me mis tout à sa
disposition.
Mais je m'aperçus bientôt que la pauvre créature était dans un tel état
d'agitation et que, de plus, elle avait monté mes quatre étages avec une
telle hâte qu'il lui était impossible d'articuler une parole.
Je n'étais pas encore assez vieux praticien pour ne pas compatir aux
faiblesses humaines, et je me mis en devoir de lui préparer un verre

d'eau--avec du sucre, s'il vous plaît!--quand elle murmura:
--Monsieur, je vous en prie... venez, venez tout de suite... Mon enfant...
Un sanglot lui coupa la parole. Mais avait-elle besoin d'en dire plus?
Elle avait besoin de mon ministère... et pour un enfant!...
J'ai toujours adoré ces petits êtres, et ç'a été une de mes plus poignantes
douleurs de me sentir, au pied d'un berceau, impuissant et ignorant! Oh!
la méningite! quelle ennemie!...
--Je suis à vos ordres, m'écriai-je en saisissant mon chapeau.
Habitez-vous loin d'ici?
--Non, non! la maison voisine... Pardonnez-moi d'être venue ici, mais
justement c'était si près...
J'aurais été mal venu à me blesser de cette excuse... inutile. J'affirmai
de nouveau que j'étais prêt à la suivre, et nous sortîmes.
Marchant à côté de la dame, dans la rue, je l'interrogeai au sujet de
l'enfant. De quelle maladie était-il atteint? Depuis combien de temps?
--Elle se meurt, monsieur! C'est une fille et qui, il y a six mois, était si
fraîche, si forte, si belle!...
--Quel âge?
--Dix ans. Voilà, monsieur, je suis veuve... je vis seule avec ma fille.
Nous ne fréquentons personne, à l'exception de M. Vincent...
--M. Vincent?
La pauvre femme crut-elle découvrir dans mon accent--et bien à tort
certes--une intention soupçonneuse? Car elle ajouta vivement:
--Oh! un vieillard, monsieur, soixante... peut-être soixante-dix ans...
mais si bon et qui aime tant ma Pauline!...

Nous avions atteint la maison. Nous montâmes au deuxième étage et
nous entrâmes. Le logis était propre, bien tenu. Un ordre parfait y
régnait. De la salle à manger, qui servait de pièce d'entrée, nous
pénétrâmes dans la chambre à coucher, et là, du premier coup d'oeil, je
vis, étendue dans un petit lit auprès de celui de sa mère, celle qu'elle
avait appelée Pauline.
Il est singulier que la maladie et la mort, contemplés à l'hôpital, pendant
la période
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