Jules César | Page 5

William Shakespeare
acclamations ne faisait-il pas trembler le Tibre au plus profond de son lit, de l'écho de vos voix répété sous ses rivages caverneux? Et aujourd'hui vous prenez vos plus beaux vêtements, et vous choisissez ce jour pour un jour de fête! et aujourd'hui vous semez de fleurs le passage de l'homme qui vient à vous triomphant du sang de Pompée![7].--Allez-vous-en.--Courez à vos maisons, tombez à genoux, priez les dieux de suspendre l'inévitable fléau près d'éclater sur cette ingratitude.
[Note 7: Après la victoire remportée en Espagne sur les enfants de Pompée. C'était la première fois que Rome voyait triompher d'une victoire remportée sur des Romains, et ce fut ce qui commen?a à indisposer fortement contre César. Shakspeare place ce triomphe le jour de cette fête des Lupercales, où Antoine offrit la couronne à César, ce qui n'eut lieu que plus d'un an après. Il fait de même des Lupercales la veille des ides de mars, quoique les Lupercales se célébrassent vers le milieu de février et que les ides fussent le 15 mars.
Voltaire n'a pas bien compris ce passage, et a cru que César triomphait de la bataille de Pharsale.
Quoi vous couvrez de fleurs le chemin d'un coupable, Du vainqueur de Pompée encor teint de son sang!]
FLAVIUS.--Allez, allez, bons compatriotes; et pour expier votre faute, assemblez tous les pauvres gens de votre sorte, conduisez-les au bord du Tibre; et là, pleurez dans son canal tout ce que vous avez de larmes, jusqu'à ce que ses eaux, à l'endroit le plus enfoncé de son cours, caressent le point le plus élevé de son rivage. (Les citoyens sortent.) Voyez si cette matière grossière n'a pas été émue: ils disparaissent la langue encha?née par le sentiment de leur tort.--Vous, descendez cette rue qui mène au Capitole; moi, je vais suivre ce chemin. Dépouillez les statues si vous les trouvez parées d'ornements de fête.
MARULLUS.--Le pouvons-nous? Vous savez que c'est aujourd'hui la fête des Lupercales.
FLAVIUS.--N'importe, ne souffrons pas qu'aucune statue porte les trophées de César[8]. Je vais parcourir ces quartiers et chasser le peuple des rues; faites-en de même partout où vous le trouverez attroupé. Ces plumes naissantes arrachées de l'aile de César ne le laisseront voler qu'à la hauteur ordinaire; autrement dans son essor, il s'élèverait trop haut pour être vu des hommes, et nous tiendrait tous dans un servile effroi.
(Ils sortent.)
[Note 8: Ce ne fut point à ce moment, mais après que la couronne e?t été offerte à César, que Flavius et Marullus dépouillèrent ses statues non pas d'ornements triomphaux, mais des diadèmes dont quelques-unes avaient été couronnées.]

SCèNE II
Toujours à Rome.--Une place publique.
Entrent en procession et avec la musique CéSAR, ANTOINE préparé pour la course; CALPHURNIA, PORCIA, DéCIUS, CICéRON, BRUTUS, CASSIUS, CASCA.--Ils sont suivis d'une grande multitude dans laquelle se trouve un devin.
CéSAR.--Calphurnia!
CASCA.--Holà! silence! César parle[9].
(La musique cesse.)
[Note 9: Voltaire, paix, messieurs; le mot messieurs, qu'il attribue ici à César, n'a aucun équivalent dans l'original. Voltaire traduit aussi constamment le my lord par mylord, qui n'en est point la traduction. Mylord n'est qu'une application particulière que les Anglais font du mot de lord à la dignité de pair, et qui n'affecte en rien la signification générale de ce mot, consacré en anglais à exprimer toutes les sortes de dominations et de dignités, en sorte qu'à moins qu'il ne s'applique à des pairs d'Angleterre, il doit être traduit, comme tous les autres mots de la langue, par un équivalent fran?ais.]
CéSAR.--Calphurnia!
CALPHURNIA.--Me voici, mon seigneur.
CéSAR.--Ayez soin de vous tenir sur le passage d'Antoine, quand il courra.--Antoine!
ANTOINE.--César, mon seigneur.
CéSAR.--N'oubliez pas en courant, Antoine, de toucher Calphurnia; car nos anciens disent que les femmes infécondes, en se faisant toucher dans cette sainte course, secouent la malédiction qui les rendait stériles.
ANTOINE.--Je m'en souviendrai. Quand César dit: Faites cela, cela est fait.
CéSAR.--Partez, et n'omettez aucune cérémonie.
(Musique.)
LE DEVIN.--César!
CéSAR.--Ha! qui m'appelle?
CASCA, s'adressant à ceux qui l'environnent.--Commandez que tout bruit cesse. Encore une fois, silence!
(La musique s'arrête.)
CéSAR.--Qui est-ce, dans la foule, qui m'appelle ainsi? J'entends une voix, plus per?ante que tous les instruments de musique crier César! Parle, César se tourne pour entendre.
LE DEVIN.--Prends garde aux ides de mars.
CéSAR.--Quel est cet homme?
BRUTUS.--Un devin qui vous avertit de prendre garde aux ides de mars.
CéSAR.--Amenez-le devant moi, que je voie son visage.
CASCA.--Mon ami, sors de la foule, regarde César.
CéSAR.--Qu'as-tu à me dire maintenant? Répète encore.
LE DEVIN.--Prends garde aux ides de mars.
CéSAR.--C'est un visionnaire; laissons-le, passons.
(Les musiciens exécutent un morceau.)
(Tous sortent, excepté Brutus et Cassius.)
CASSIUS.--Irez-vous voir l'ordre de la course?
BRUTUS.--Moi? non.
CASSIUS.--Je vous en prie, allez-y.
BRUTUS.--Je ne suis point un homme de divertissements; je n'ai pas tout à fait la vivacité d'Antoine. Que je ne vous empêche pas, Cassius, de suivre votre intention; je vais vous laisser.
CASSIUS.--Brutus, je vous observe depuis quelque temps: je ne re?ois plus de vos yeux ces regards de douceur, ces signes d'affection que j'avais coutume d'en recevoir. Vous tenez envers votre ami, qui
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 37
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.