va ouvrir à deux battants la porte au théâtre réaliste.
En rentrant à quatre heures chez moi, Pélagie qui se relève, me
confirme le succès de ce soir, disant, qu'un moment, elle et sa fille ont
craint que les troisièmes galeries, toutes remplies d'étudiants et de
jeunes gens, ne leur tombassent sur la tête dans le délire des
trépignements.
* * * * *
Mardi 3 mars.--Un excellent Figaro. Le reste de la presse assez
ergoteuse, déclarant que ma pièce est une oeuvre ordinaire, où
cependant se rencontrent une certaine délicatesse, et un style sortant de
l'écriture courante des drames de tout le monde... En lisant les journaux,
je suis frappé par la sénilité des idées et des doctrines chez les critiques
dramatiques. Parmi ces messieurs s'est maintenue, de la façon la plus
orthodoxe, la religion du vieux jeu. Chez les critiques littéraires, une
transfusion de jeune sang s'est faite, et les plus arriérés, les plus
inféodés au classicisme étroit, sont moins fermés, plus ouverts aux
choses nouvelles de la littérature, tandis que les critiques dramatiques,
surtout ceux des petits journaux populaires, des petits journaux illustrés,
sont restés de vrais critiques du temps de la Restauration.
Oh, la grande place à prendre pour un jeune lettré, spirituel, méchant
avec talent, qui intitulerait un article, paraissant toutes les semaines: La
critique de la critique, et ferait ressortir les trop fortes âneries de ces
messieurs!
* * * * *
Jeudi 5 mars.--Ce soir à l'Odéon, troisième représentation
d'HENRIETTE MARÉCHAL. Salle trouée de grands vides.
Spectateurs de glace. Léonide enrouée à ne pas l'entendre. Porel, dans
sa loge d'avant-scène où j'entends la pièce, s'écrie: «Bon, une voix de
bronchite!... la pièce est fichue, si nous sommes forcés de la suspendre
quatre ou cinq jours.» Et l'on est contraint de faire une annonce, pour
solliciter l'indulgence du public.
* * * * *
Samedi 7 mars.--Je ne sais qui m'appelait hier «triomphateur». Il est
drôle mon triomphe, drôle vraiment! Toute la journée je me suis dit: «Il
faut aller ce soir à l'Odéon... il faut par ma présence encourager,
échauffer mes acteurs... mais dans la perspective de trouver une salle
comme celle d'avant hier, je n'ai pas le courage de me rendre à l'Odéon.
* * * * *
Dimanche 8 mars.--Ce soir, salle bondée de spectateurs.
Applaudissements frénétiques. Léonide heureuse de sa voix à moitié
retrouvée, me montre avec orgueil son dos, où il n'y a plus de peau par
la morsure des taxia. Chelles m'annonce cent représentations. Et de
désespéré, que j'étais en arrivant, je m'en vais réespérant. Dans les
choses théâtrales: c'est abominable ces hauts et ces bas, et sans
transition aucune.
* * * * *
Lundi 9 mars.--Lettre de Porel, qui m'apprend que l'Odéon a fait hier
avec la matinée, près de 7 000. Lettre de Debry, agent de la société des
auteurs dramatiques, qui m'annonce que Mme Favart accepte mes
conditions pour une tournée en province.
* * * * *
Mardi 10 mars.--Ce matin, dans le lit, ruminement des mauvais articles
d'hier et d'aujourd'hui, et l'indignation de cet article de Bigot, du Siècle,
qui cherche à me faire siffler, en proclamant que l'adultère de ma pièce
est plus immoral que les adultères de toutes les autres pièces, et en
donnant à entendre que le frère aîné est un maquereau.
Au fond, il n'y a pas à se le dissimuler, la pièce a du plomb dans l'aile.
* * * * *
Jeudi 12 mars.--Dans le montage fiévreux de la pièce, dans le coup de
fouet des répétitions, dans l'émotion de la première, je n'avais pas
conscience de la fatigue cérébrale; aujourd'hui, elle se fait sentir, et tous
les matins je me réveille la tête lourde.
Exposition de Delacroix aux Beaux-Arts. Je n'ai pas d'estime pour le
génie d'Ingres, mais je l'avoue je n'en ai guère plus pour le génie de
Delacroix.
On veut que Delacroix soit un coloriste, je le veux bien, mais alors c'est
le coloriste le plus inharmonique qui soit. Il a des rouges de cire à
cacheter de papetiers en faillite, des bleus à la dureté du bleu de Prusse,
des jaunes et des violets pareils aux jaunes et aux violets des vieilles
fayences de l'Europe, et ces éclairages de parties de nu avec des
hachures de blanc pur, sont, je l'ai déjà dit, tout ce qu'il y a de plus
insupportable, de plus cruel pour l'oeil.
Quant au mouvement de ses figures, je ne le trouve jamais naturel, il
est épileptique, toujours théâtral, pis que cela: caricatural! et ces figures
ont tout à fait la gesticulation des cabotins ridicules, dans les
lithographies de Gavarni.
Je ne lui reconnais absolument qu'une qualité, c'est le grouillement
d'une foule, comme dans le «Massacre de Liège», comme dans le
«Boissy d'Anglas», et où l'exagération de la mimique de chacun,
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