commandant de
Verdun, il a fait, dans un mouvement général, toute la tourbe retourner
la tête vers la porte du commandant. Et c'était d'un grand effet, avec
l'éclairage d'un quinquet à droite, laissant tout le bas des corps des
figurants dans l'ombre, et leur sabrant la figure d'un coup de lumière de
la tonalité blafarde, qui se trouve dans les têtes du fond des
lithographies des courses de taureaux de Goya.
Il y avait aujourd'hui 80 figurants. Antoine en veut 200 à la première.
Quelles physionomies, dans ce ramassis de vendeurs de cartes obscènes,
de souteneurs, d'industriels de commerces suspects, à la tête à la fois
canaille et intelligente. «En voilà un avec un pantalon à l'éléphant, dit
Mevisto, que je ne voudrais pas rencontrer la nuit!» Quant à Antoine, il
les savourait de l'oeil complaisamment, finissant par dire: «Ah!
vraiment, il faut que je demande s'il n'y a pas, parmi eux, quelques-uns
qui voudraient débuter... il me semble qu'on tirerait plus d'eux, que de
ceux qui ont appris à jouer.» Puis il se retourne vers un groupe
d'actrices et leur dit: «Mesdames, vous savez, votre argent et tous vos
bijoux dans vos poches; vous voyez, vous avez ici cent escarpes, et
votre habilleuse me semble sortie du bagne. Je ne réponds de rien.»
* * * * *
Vendredi 15 mars.--Dire qu'on en est réduit aujourd'hui, avec cet
imbécile de public de première, à substituer dans l'acte de Verdun, le
mot passeport au mot passe, qui est le vrai mot militaire, et je ne suis
pas bien sûr, diable m'emporte, qu'au premier acte, l'envoi à Sa Majesté
des faucons par le procureur de l'ordre de Malte ne sera pas égayé par
un intelligent gandin.
* * * * *
Dimanche 17 mars.--Répétition aux Menus-Plaisirs, tout l'après-midi
jusqu'à des heures indues. Mevisto et Barny enroués, presque
complètement aphones, Mlle de Neuilly jouissant d'une entorse,
Antoine, qui a décidément pris le rôle de Boussanel, ne l'ayant pas
encore une fois répété, ce rôle d'un bout à l'autre, et me laissant dans
l'incertitude comment il sera joué. Par là-dessus, ledit Antoine est de
très mauvaise humeur, et maltraite de paroles tout le monde, et même
un peu moi-même, à propos d'une marche de Barny, appuyée sur une
béquille, marche qui la force à scander par des temps ce qu'elle dit. Et
tout le monde, nerveux, tourné à la dispute, à la bataille, l'homme de
l'électricité voulant se battre avec un figurant, et le comte de Valjuzon
exaspéré de se trouver mal habillé, et menaçant de quitter le rôle. Et
ceux qui ne sont pas prêts à se prendre aux cheveux, jouant comme
endormis, comme sous l'influence d'une boisson opiacée. Au milieu de
ce désarroi, la petite Varly venant me souffler de ses jolies lèvres dans
l'oreille: «Ah! que je vous plains, Monsieur, d'être interprété comme
ça!»
Puis cette foule de voyous, magnifiquement effrayants sous leurs
blouses, dans le moderne de leurs vêtements, en leurs travestissements
de pêcheurs de Masaniello, ayant perdu tout caractère, ayant l'air d'une
mascarade historique de chienlits de la Révolution. Ah! si la
Providence ne s'en mêle pas, ce sera grotesque la première.
* * * * *
Lundi 18 mars.--Profond découragement avec un fonds de
jemenfoutisme, et une attente un peu ironique de ce qui va arriver.
Oui, j'en ai plein le dos du théâtre, et de la fièvre des répétitions et des
représentations, et j'aspire à mercredi, où je serai tout entier, au
retournement de mon jardin, et à la fabrication de cet amusant livre de
pêche à la ligne, dans les brochurettes de la bibliothèque de l'Opéra, qui
s'appellera: LA GUIMARD.
Je trouve à cinq heures Daudet plongé dans le MÉMORIAL DE
SAINTE-HÉLÈNE, et il m'en raconte le commencement, comme dans
une hallucination blagueuse. C'est l'Empereur en contact avec une
famille de gens gras à lard, d'une famille Durham, et qui n'a jamais
entendu parler de lui, et ne s'intéresse qu'au héros et à l'héroïne d'un
roman de Mme Cottin, arrivé par hasard dans cette île perdue, et à
propos duquel, jeunes et vieux assassinent de questions l'Empereur, qui
exaspéré, à une question du gros oncle demandant ce qu'est devenue
l'héroïne, lui jette durement: «Elle est morte!» et alors voit couler, à
cette nouvelle, sur le facies de cet Anglais, ressemblant à un derrière,
voit couler de grosses larmes.
Cela est conté avec les suspensions d'une respiration difficile, des yeux
par moment un peu fixes, au milieu du grossissement d'une ironie
gasconne.
Une surprise, ce soir, à la répétition générale. La pièce marche. Antoine
est très bien dans Boussanel, et tout à fait supérieur dans l'acte de
Fontaine près Lyon. Ah! certes, ce n'est pas la composition de la
Comédie-Française, et ce n'est pas, comme nous l'avions espéré dans le
temps jadis, Dressant jouant le comte de Valjuzon,
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