allait à ses affaires, et au moment de s'en aller, passait savoir à qui
elle était adjugée. C'était à lui! Avec les frais, il avait pour 150 000
francs une propriété, dont les possesseurs actuels demandent trois
millions.
* * * * *
Samedi 9 mars.--Vraiment les tribulations, les maladies, les chagrins,
s'abattent sur cette maison Daudet.
Le père de Mme Daudet est mort ce matin. J'attends la chère femme
chez elle jusqu'à sept heures, pour lui serrer la main. La vraie douleur,
sans aucune dramatisation, avec des pleurs qu'elle comprime. «Hier,
dit-elle, en phrases scandées par de petits sanglots, je me suis échappée
d'ici un moment... j'ai été poussée par un pressentiment... J'ai trouvé ma
mère qui pleurait et qui m'a dit que mon père était en train de lui dire
des choses désolantes... Il se plaignait d'être faible, faible à toute
extrémité... J'ai compris qu'il était bien mal, parce qu'il ne demandait
des nouvelles de personne... Cependant il a mangé un peu le soir, et
mon frère est passé me rassurer... Dans la nuit il a voulu dire des choses
qu'il n'avait plus la force de dire... Enfin, ce matin, on m'a prévenue à
huit heures... Il ne m'a pas reconnue... Il est mort à neuf heures.»
* * * * *
Lundi 11 mars.--Enterrement du père de Mme Daudet. Ah! le bel adieu
au mort qu'a inventé la religion catholique, et la merveilleuse
combinaison de musiques douloureuses, de paroles graves, de lentes
promenades de vieillards, d'évocations de paix éternelle, et de tentures
noires, et de lumières brûlant dans le jour, et de parfums d'encens et de
senteurs de fleurs. Ah! l'artistique mise en scène de la désolation et du
deuil des vivants.
Dans cette marche au pas, derrière le corbillard, du boulevard
Montparnasse au Père-Lachaise, cette marche qui a duré une heure un
quart, tout seul dans mon fiacre, il remonte en moi bien des souvenirs
tristes, bien des souvenirs de mort.
Oh, ce temple à Thiers, sur le modèle du logis de l'éléphant au Jardin
des Plantes, pour cet homme si petit de toute façon, est-ce assez
ridiculement énorme!
À trois heures, me voici à la répétition du Théâtre-Libre, aux
Menus-Plaisirs. C'est aujourd'hui moins désespérant que l'autre jour, et
les remuements de foule qu'on commence à tenter, promettent, il me
semble, de grands effets. Le récit de la prise de la Bastille par Mevisto
blessé, soutenu par deux hommes, forme un groupe d'un beau dessin.
Antoine esquisse le rôle de Boussanel, de manière à faire croire à une
création originale. Je reprends confiance.
Sur les six heures, Derembourg qui avait envoyé mon manuscrit à la
censure, pour faire jouer aux Menus-Plaisirs la PATRIE EN DANGER
avec la troupe d'Antoine, si elle a un succès, Derembourg m'apprend, à
ma grande surprise, qu'en dépit de ma préface de GERMINIE
LACERTEUX, la censure a donné le visa à ma pièce, sans demander la
suppression d'une phrase.
Et il est décidé--ça me paraît bien prématuré--que la pièce passera, le
mardi 19 mars.
* * * * *
_Mardi 12 Mars.--La tour Eiffel me fait penser que les monuments en
fer ne sont pas des monuments humains, ou des monuments de la
vieille humanité, qui n'a connu pour la construction de ses logis que le
bois et la pierre. Puis dans les monuments en fer, les surfaces plates
sont épouvantablement affreuses. Qu'on regarde la première
plate-forme de la tour Eiffel, avec cette rangée de doubles guérites, on
ne peut rêver quelque chose de plus laid pour l'oeil d'un vieux civilisé,
et le monument en fer n'est supportable que dans les parties ajourées,
où il joue le treillis d'un cordage.
Je revois, ce soir, Mme Daudet. Oui c'est l'image de la vraie et sincère
douleur. Elle a les yeux tout gonflés des pleurs de la nuit, et est assise
en une pose affaissée, ses mains molles réunies dans un mouvement de
prière, inattentive à ce que vous dites, ou bien accueillant, d'un pâle
sourire de politesse, les paroles qui s'adressent directement à elle.
* * * * *
Jeudi 14 mars.--Vraiment un amusant et drolatique metteur en scène,
qu'Antoine avec son sifflet de contremaître, et ses nom de Dieu,
jaillissant de son enrouement, comme des déchirements de bronches. Il
a le sentiment de la vie des foules, et trouve un tas de petites inventions
ingénieuses, pour faire revivre cette vie tumultueuse sur le champ étroit
des planches d'un théâtre.
Aujourd'hui, après des clameurs cherchées dans trois endroits différents
du théâtre, et plus reculés l'un que l'autre, et donnant comme le
prolongement lointain de cris de peuple, à la cantonade d'un épisode
révolutionnaire, il a brisé le groupement de la scène par des
conversations d'aparté chuchotantes, puis tout à coup sur un banc jeté à
terre, simulant le coup de pistolet avec lequel se tue le
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