Journal des Goncourt (Premier Volume) | Page 7

Edmond de Goncourt
trouve... qui vous laverait les mains, mettrait votre cravate, enfin qui prendrait de vous le soin que vous n'avez pas le temps...?
--?Oh! s'��cria Balzac, un ami comme ?a, je le ferai passer �� la post��rit��!?
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--Nos soir��es, presque toutes les soir��es, o�� nous ne travaillons pas, nous les passons dans le fond de la boutique d'un singulier marchand de tableaux, dans la boutique de X..., qui, sous le pr��texte d'occuper l'oisivet�� de sa vie, va encore manger une cinquantaine de mille francs �� son p��re. Un grand, gros, fort gar?on, occup�� �� remonter �� toute minute, par un geste b��te, une paire de lunettes qui lui d��vale du nez, et si souffl�� par tout le corps d'une mauvaise graisse, qu'il semble en baudruche, et que la plaisanterie ordinaire de Pouthier est de crier: ?Fermez les fen��tres ou Pamphile va s'envoler!? Le meilleur des hommes et le marchand le plus paresseux, le plus flaneur, le plus boubouilleur, le plus incapable de tirer un gain d'une chose qu'il vend,--et qui, 365 fois par an, a besoin de voir, autour de son d?ner, cinq ou six figures, si ce n'est au moins autour de la table, o��, du matin au soir, se vident les canettes.
Il a emm��nag�� avec lui une jeune femme, pas pr��cis��ment jolie, et qui de temps en temps se d��robe et se cache dans un joli mouvement contourn�� pour prendre une prise de tabac, mais une jeune femme qui a de paresseuses poses de chatte dans sa berg��re au coin de la chemin��e, un petit bagout spirituel, une grace de gentille bourgeoise d'un autre si��cle: toute cette douce et tranquille s��duction cachant une hyst��rie tr��s prononc��e, qui la fait, presque tous les mois, �� un quanti��me, o�� elle dit, aller chez elle pour donner son linge �� la blanchisseuse, dispara?tre deux ou trois jours avec un des attabl��s ordinaires de son amant,--apr��s quoi, elle rentre au bercail et le m��nage reprend comme si de rien n'��tait.
Pouthier, apr��s des aventures �� d��frayer un roman picaresque, et qui, sans attribution bien fixe dans la maison, est �� la fois commis, restaurateur de tableaux, et surtout le patito de la jeune femme, remplit le fond du magasin de lazzis et de tours de force.
L�� arrivent, tous les soirs,--car la bi��re vient du GRAND BALCON, et la femme a le don capiteux de produire autour d'elle une certaine excitation de l'esprit et de mettre les imaginations en verve,--l�� arrivent le peintre Hafner, le plus bredouilleur des Alsaciens; Valentin, le dessinateur de l'ILLUSTRATION; Deshayes, le petit ma?tre aux tonalit��s grises, et le blond coloriste Voillemot, avec sa tignasse d'Apollon roussi, et Galetti, et le tout jeune Servin, et d'autres, et d'autres, et c'est toute la soir��e un tapage et une d��bauche de paroles, que de temps en temps, solennellement, le ma?tre de la maison r��prime par un ?O�� te crois-tu!? indign��.
Dans les raisons que X... a donn��es �� son p��re, pour qu'il lui fourn?t les fonds n��cessaires �� son commerce, il a fait entrer l'��norme ��conomie qu'il r��aliserait en n'allant plus au caf��, et le malheureux en tient un gratis!
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--Un soir, le monde de la boutique se d��cide �� faire une excursion dans la for��t de Fontainebleau, �� passer quelques jours chez le p��re Saccaux, �� Marlotte, la patrie d'��lection du paysage moderne et de Murger. Pouthier ferme le magasin. M��lanie met sa toilette la plus pimpante, r��unissant sur sa personne tous ses bijoux; et nous voil�� dans cette for��t, o�� chaque arbre semble un mod��le entour�� d'un cercle de bo?tes �� couleurs. L��, de grandes courses �� la suite des peintres et de leurs ma?tresses en joie, et comme gris��es par le plein air de la campagne: des jours qui ressemblent �� des dimanches d'ouvriers. On vit en famille, en s'empruntant son savon, et on a des app��tits et des soifs qui vous font trouver bonne la m��diocre ratatouille et aimable le ginglet de l'endroit. Chacun paye son ��cot de bonne humeur. Les femmes mouillent leurs bottines dans l'herbe sans grogner. Murger semble rass��r��n�� comme en une convalescence d'absinthe. On prom��ne une gaiet�� vaudevilli��re par toute la for��t, m��me en ce Bas-Br��au, o�� nos fumisteries semblent faire fuir dans la profondeur de la feuill��e des dos de peintres chenus, ressemblant �� des dos de vieux druides. On essaye des parties de billard sur un sabot de l'auberge o�� il y a des orni��res qui font des carambolages forc��s. Palizzi, les grands jours, rev��t un tablier de cuisine et fricote un gigot �� la juive, dont il reste �� peine l'os.
La nuit, pendant que les esquisses du jour s��chent, on dort comme si on revenait de la charrue, et un matin j'entends la ma?tresse de Murger, au milieu d'un doux transport, lui demander ce que rapporte la feuille
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