me disait que Georges,
l'ancien garçon à la mémoire extraordinaire, était devenu le sacristain
d'une chapelle protestante de la rue Royale.
* * * * *
--------Ces jours-ci, on a fait la vente d'un nommé Arnauldet, frère d'un
employé que j'ai connu au cabinet des Estampes. Au milieu d'un
fouillis immense, il y a quelques très jolies et charmantes choses,
achetées à vil prix par Burty, qui a suivi la vente, depuis les salles d'en
haut jusqu'à Mazas: la salle d'en bas, où on vend la literie et les
batteries de cuisine.
Ce garçon, originaire du Poitou, et sorti d'une famille de la magistrature,
en ce temps de sensualisme grossier, était un type du sensuel délicat, et
du curieux dans les choses du boire et du manger.
Il n'aimait qu'une certaine eau-de-vie fabriquée près de la Rochelle, et
dont la provision était vendue tous les ans, à l'Angleterre. Cette
eau-de-vie donc, il la faisait racheter en Angleterre, et il la buvait dans
un petit verre, gardé dans un étui, qu'on ne lavait jamais, et qui avait
pris l'irisation d'un lacrymatoire antique. Le café, on lui en triait un
petit sac, qui était choisi grain par grain. Il faisait venir des huitres d'un
certain marchand d'huitres de Marennes, et les donnait à garder dans
une cave du quartier qui leur conservait une fraîcheur particulière. Il
s'était fait fabriquer une semaine de pipes d'écume de mer, d'une
minceur charmante, baptisées de noms délicieux, et qui se succédaient
l'une après l'autre.
Enfin, chez ce garçon qui n'avait pas plus de douze à quinze mille livres
de rente, toutes les choses du boire et du manger venaient du meilleur
fournisseur existant dans le monde, qu'il fût à Paris ou aux Grandes
Indes, et un jour, que le peu difficile Bracquemond déjeunait chez lui,
et que sa rude nature s'impatientait de toutes ces recherches, de toutes
ces provenances, il lui jeta:
--Et votre sel, d'où le faites-vous venir?
--De Morelles, répondait flegmatiquement Arnauldet.
Il vivait, cet épicurien, dans un petit monde de jouisseurs délicats, dont
était Pingard, l'huissier de l'Académie, qu'on retrouvait à la vente des
vins, faisant de la dégustation savante avec la petite tasse d'argent des
gourmets-piqueurs de vin, et tout débordant d'indignation comique,
quand l'expert se trompait d'un an, sur la date d'un cru.
* * * * *
Dimanche 30 juin.--J'ai été entouré, toute la journée, de la joie bête,
houleuse, haineuse, de cette multitude demandant des lampions et des
drapeaux aux fenêtres, et surtout aux miennes qui n'en avaient pas.
* * * * *
Lundi 1er juillet.--Des drapeaux, on ne voudra jamais croire cela, on en
a mis hier aux corbillards emportant leurs morts au cimetière.
* * * * *
--------C'est curieux, ce besoin de dramatique qu'a l'humanité. Elle
s'ennuie, en ouvrant son journal, quand il ne parle pas d'une guerre, ou
au moins de l'assassinat d'un souverain.
* * * * *
Mercredi 17 juillet.--Aujourd'hui, j'ai eu à déjeuner le ménage Daudet,
à la première sortie de relevailles de Mme Daudet, et les Charpentier, et
Burty, dont le ventre devient bedonnant et le dos montagneux.
Daudet a été charmant. Il a une conversation qu'on ne peut définir que
par un mot: une conversation d'improvisateur. C'est un mélange de
petites choses gentilles, de fines observations, de remarques drolatiques
d'imaginations poétiquement funambulesques. Il fallait l'entendre
couper le littéraire de sa conversation, par des blagues sur la nourrice
morvandiste qu'il a découverte, et sur son dernier-né, qu'il appelle
Tardivaux, à l'indignation de sa femme.
* * * * *
Jeudi 18 juillet.--En réfléchissant combien mon frère et moi, nous
sommes nés différents des autres, combien notre manière de voir, de
sentir, de juger était particulière,--et cela tout naturellement et sans
affectation et sans pose--combien en un mot notre nous n'était pas une
originalité acquise à la force du poignet, je ne puis m'empêcher de
croire que l'oeuvre que nous avons produit, ne soit pas un oeuvre très
différent de celui des autres.
* * * * *
Lundi 22 juillet.--Me voilà aujourd'hui libéré du travail de l'histoire, de
ce travail qui prend tout votre temps, et qui au fond ne vous absorbe
pas, ne vous enlève pas à vous-même. Je vais enfin m'appartenir, et me
donner, pour les années qui me restent à vivre, à l'imagination, au style,
à la poésie.
* * * * *
Mardi 23 juillet.--L'introduction d'un nouveau médecin à chaque dîner
de Brébant. Aujourd'hui c'est Paul Bert, qui disserte sur le temps qu'a
pu durer le Paradis, sur les facultés génératrices d'Ève, et les deux
cornes qu'elle avait vraisemblablement, etc., etc.
* * * * *
Lundi 29 juillet.--Départ pour Bar-sur-Seine. Je suis seul dans mon
wagon, et en la trépidation du chemin de fer, et par la nuit qui vient, ma
pensée va au roman des «Deux clowns.»
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.