le temps manque, le temps
manque pour faire l'expérience en grand... et la faire accepter donc! Il y
a un gros bonnet de l'artillerie que j'entretenais du pétrole: Oui, m'a-t-il
dit, on s'en servait au IXe siècle.--Mais les Américains, lui ai-je
répondu, dans leur dernière guerre...--C'est vrai, a-t-il repris, mais c'est
dangereux à manier, et nous ne voulons pas nous faire sauter.
Voyez-vous, ajoute Berthelot, tout est comme cela!»
Et toute la conversation de la table va aux conditions présumables, que
fait le roi de Prusse: à une cession d'une partie de la flotte cuirassée, à
la délimitation nouvelle que l'on a vue, sur une carte appartenant à
Hetzel, et qui enlèverait des départements à la France.
On interroge Nefftzer qui ne répond pas directement à la question, et
avec son scepticisme finement blagueur sous son gros rire, et avec sa
parole malignement mordante sous son épais accent alsacien, se moque
de Gambetta venant d'envoyer, comme maire de Strasbourg, un maire,
qui, d'après lui, se serait sauvé, et remplacerait un maire qui se battrait
courageusement, et il accuse X... d'avoir fait sa fortune dans les travaux
des fortifications, et encore des officiers du génie, de faire inscrire, sur
les feuilles des entrepreneurs, trois cents ouvriers, là, où un atelier de
cinquante travaille seulement.
Renan, obstinément attaché à sa thèse sur la supériorité du peuple
allemand, continue à la développer entre ses deux voisins, lorsque du
Mesnil l'interrompt par cette sortie: «Quant au sentiment
d'indépendance de vos paysans allemands, je puis dire que moi, qui ai
assisté à des chasses dans le pays de Bade, on les envoie ramasser le
gibier, avec des coups de pied dans le cul!»
«Eh bien, dit Renan, dérayant complètement de sa thèse, j'aime mieux
les paysans à qui l'on donne des coups de pied dans le cul, que des
paysans, comme les nôtres, dont le suffrage universel a fait nos maîtres,
des paysans, quoi, l'élément inférieur de la civilisation, qui nous ont
imposé, nous ont fait subir, vingt ans, ce gouvernement.»
Berthelot continue ses révélations désolantes, au bout desquelles je
m'écrie:
--«Alors tout est fini, il ne nous reste plus qu'à élever une génération
pour la vengeance!»
--«Non, non, crie Renan qui s'est levé, la figure toute rouge, non pas la
vengeance, périsse la France, périsse la Patrie, il y a au-dessus le
royaume du Devoir, de la Raison...»
Non, non, hurle toute la table, il n'y a rien au-dessus de la Patrie. «Non,
gueule encore plus fort Saint-Victor, tout à fait en colère: n'esthétisons
pas, ne byzantinons plus, f..., il n'y a pas de chose au-dessus de la
Patrie!»
Renan s'est levé, et se promène autour de la table, la marche mal
équilibrée, ses petits bras battant l'air, citant à haute voix des fragments
d'Écriture sainte, en disant que tout est là.
Puis il se rapproche de la fenêtre, sous laquelle passe le va-et-vient
insouciant de Paris, et me dit: «Voilà ce qui nous sauvera, c'est la
mollesse de cette population!»
* * * * *
_7 septembre_.--De la barrière de l'Étoile à Neuilly. Il a plu toute la
nuit. Les tentes ont des flaques d'eau dans leurs plis, et de la paille
humide s'en échappe, de la paille laissant voir, dans l'intérieur des
tentes, des morceaux de rouge, qui sont des soldats pelotonnés dormant.
Au dehors sèchent, accrochés, çà et là, des chaussons, des caleçons, des
clairons vertdegrisés, et, entre deux pavés, de pauvres petits feux
grésillent sur du bois pourri de démolitions. Des sentinelles, semblables
à des malades d'hôpital, montent la garde, empaquetées dans une
couverture, et la tête serrée dans un mouchoir à carreaux bleus.
Tous ces soldats portent sur leurs visages, et dans l'engourdissement
paresseux de leurs mouvements, le malaise de la nuit froide. Ils ne sont
pas tristes, mais ils ont en eux une sorte de passivité, de résignation à la
fois mélancolique, et un peu stupide. Ça semble des soldats pour
mourir, non pour vaincre, des soldats prédestinés à la défaite par la
désertion du moral, et dont le cerveau trouble, est hanté par le grand
dissolvant des armées: la Trahison.
Dans le nombre, quelques belles insouciances ou quelques gaietés
résistantes: un groupe mangeant gaillardement, sur une table, fabriquée
d'une planche posée sur deux tronçons de poêle, et derrière la table, un
troupier, au geste vainqueur, batifolant avec une cantinière du 93e, au
petit tablier de soie bleue, envolé de sa jupe de drap.
Sur le mur des fortifications pèse un ciel bas, à travers lequel le vent
chasse des nuées grises, au-dessus d'une ligne jaune: le ciel que
Decamps met au-dessus de ses combats de Cimbres et de Teutons, et
où, dans le moment, luit le bronze luisant de pluie, d'une pièce de 24,
dont un gamin tourmente la manivelle.
Je monte sur le rempart. C'est comme l'écroulement de l'horizon,
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