pendant qu'en même temps appara?t, charbonné sur une autre colonne: _La République est proclamée_. Alors des acclamations, des cris, des chapeaux en l'air, des gens escaladant les piédestaux des statues, un homme en blouse se mettant tranquillement à fumer sa pipe, sur les genoux de pierre du chancelier de L'H?pital, et des grappes de femmes se tenant appendues à la grille, qui fait face au pont de la Concorde.
Partout on entend, autour de soi, des gens s'abordant avec cette parole: ??a y est!? et au haut du fronton, un homme enlève au drapeau tricolore son bleu et son blanc, et ne laisse flotter que le rouge.
A la terrasse donnant sur le quai d'Orsay, les lignards offrent, par-dessus le parapet, aux femmes qui se les arrachent, des rameaux verts.
A la grille des Tuileries, près du grand bassin, les N dorés, sont dissimulés sous de vieux journaux, et des couronnes d'immortelles pendent à la place des aigles absentes.
A la grande porte du palais, je vois écrit, à la craie, sur les deux tablettes de marbre noir: A la garde des citoyens. D'un c?té est grimpé un mobile, son mouchoir encadrant sa tête à l'arabe sous son képi, de l'autre c?té un jeune soldat de ligne tend son shako à la foule: _Pour les blessés de l'armée fran?aise_. Et des hommes en blouse blanche, d'un bras entourant les colonnes du péristyle, et une main appuyée sur un fusil, vocifèrent: _Entrée libre du bazar_, pendant que la foule fait irruption, et qu'une immense clameur s'engouffre dans l'escalier du palais envahi.
Sur les bancs, contre les cuisines, des femmes sont assises, une cocarde piquée dans les cheveux, et une jeune mère allaite tranquillement un tout petit enfant, dans ses langes blancs.
Le long de la rue de Rivoli, on lit sur la vieillesse noiratre de la pierre: _Logement à louer_, et des affiches écrites à la main portent: _Mort aux voleurs. Respect à la propriété_.
Trottoirs, chaussées, tout est plein, tout est couvert d'hommes et de femmes, semblant s'être répandus de leur chez soi, sur le pavé; un jour de fête de la grande ville, oui, un million d'êtres qui paraissent avoir oublié que les Prussiens sont à trois ou quatre marches de Paris, et qui, dans la journée chaude et grisante, vont à l'aventure, poussés par la curiosité fiévreuse du grand drame historique qui se joue.
Et c'est, tout le long de la rue de Rivoli, des passages de troupes chantant la Marseillaise. Rien ne manque à la journée, pas même les chienlits des révolutions, et une voiture découverte charrie, porteurs de grands drapeaux, des hommes à barbiches et à oeillets rouges, au milieu desquels un turco sao?l embrasse une femme ivre.
Il est cinq heures à l'H?tel de Ville. Le monument de la cité libre, les pieds dans l'ombre, rayonne en haut d'un soleil qui fait aveuglant l'horloge. Aux fenêtres du premier étage, des blouses et des redingotes s'étagent jusqu'aux meneaux supérieurs: le premier rang, assis les jambes pendantes en dehors de l'édifice, et semblable à un gigantesque paradis de titis, dans un décor de la Renaissance.
La place fourmille de monde. Des voitures, où se hissent des curieux, stationnent arrêtées, des gamins sont accrochés à des candélabres, et de toute cette agglomération de créatures enfiévrées, monte une sourde rumeur.
De temps en temps, tombent des fenêtres de petits papiers, que la foule ramasse et rejette, en l'air, et qui font au-dessus des têtes, comme une giboulée de flocons de neige. ?Les chiffonniers vont faire leur beurre!? dit un homme du peuple, de ces papiers: les bulletins du plébiscite du 8 mai, portant les oui, imprimés d'avance.
De temps en temps, des figures de l'extrême gauche, qu'on nomme à c?té de moi, viennent cueillir les vivats de la foule, et Rochefort montrant, une minute, sous sa tignasse révoltée, sa figure nerveuse, est acclamé comme le futur sauveur de la France.
En revenant par la rue Saint-Honoré, on marche, par les trottoirs, sur des morceaux de platre doré, qui étaient, il y a deux heures, les écussons aux armes impériales de fournisseurs de la ci-devant Majesté, et l'on rencontre des bandes où, tête nue, des hommes chauves, cherchent à exprimer, avec des gestes épileptiques, ce que ne peut plus crier leur voix enrouée, leur gosier aphone.
Je ne sais pas, mais je n'ai pas confiance, il ne me para?t pas retrouver dans cette plèbe braillarde les premiers bonshommes de l'ancienne Marseillaise: ?a me semble simplement des voyous d'age, en joie et en esbaudissement, des voyous sceptiques, faisant de la casse politique, et n'ayant rien, sous la mamelle gauche, pour les grands sacrifices à la patrie.
... Oui, la République! Dans ces circonstances, je crois qu'il n'y a que la République pour nous sauver, mais une République, où on aurait en haut un Gambetta pour la couleur, et où on appellerait les vraies et rares capacités
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