toute aplatie, et d'où suinte un peu d'eau sanguinolente, élargissant, petit à petit, une tache rouge dans le sable--tête que flaire, comme dans un baiser, toute brebis qui passe.
En les allées des calèches, des grands boeufs hagards et désorientés vaguent par troupes. Un moment c'est un affolement. Par toutes les percées, par tous les trous de la feuillée, l'on entrevoit un troupeau de cent mille bêtes éperdues, se ruer vers une porte, une sortie, une ouverture, semblable à l'avalanche d'un fougueux dessin de Bénedette Castiglione.
Et la mare d'Auteuil est à moitié tarie par les bestiaux, buvant agenouillés, parmi ses roseaux.
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_30 ao?t_.--Du haut de l'omnibus d'Auteuil, en la descente du Trocadéro, j'aper?ois, sur la grande étendue grise du Champ-de-Mars, dans de la clarté ensoleillée, un fourmillement de petits points rouges, de petits points bleus: des lignards.
Je dégringole, et me voici au milieu des faisceaux brillants, au milieu des petites cuisines, où bout la marmite de fer-blanc sur des trous de feu, au milieu des toilettes en plein air que font des manches de chemises d'un si beau blanc rouillé, au milieu des tentes, au triangle d'ombre, dans lequel s'aper?oit, prés de sa gourde, la tête tannée d'un fantassin dans de la paille. Des soldats emplissent leurs bidons aux bouteilles, promenées par un marchand de vin sur une voiture à bras, d'autres embrassent une marchande de pommes vertes, qui rit... Je me promène dans ce mouvement, cette animation, cette gaieté du soldat fran?ais prêt à partir pour la mort, quand la voix cassée d'un vieux petit bonhomme bancroche et hoffmannesque jette ce cri: ?Des plumes, du papier à lettres!? Un cri poussé sur une note étrange et qu'on dirait un memento funèbre, une espèce d'avis discrètement formulé, mais voulant dire: ?Messieurs les militaires, si on songeait un peu à son testament??
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_31 ao?t_.--Ce matin, au point du jour, commence la démolition des maisons de la zone militaire, au milieu du défilé des déménagements de la banlieue, qui ressemble à la migration d'un ancien peuple. Des coins étranges de maisons à moitié démolies, avec des restants de mobiliers hétéroclites: ainsi une boutique de coiffeur, dont la fa?ade béante montre, oubliée, la chaise curule, où les blanchisseurs se faisaient faire la barbe, le dimanche.
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_2 septembre_.--J'accroche, au sortir du Louvre, Chennevières qui me dit partir demain pour Brest, afin d'escorter le troisième convoi des tableaux du Louvre, qu'on a enlevés des cadres, qu'on a roulés, et qu'on envoie, pour les sauver des Prussiens, dans l'arsenal ou le bagne de Brest. Il me peint le triste et humiliant spectacle de cet emballage, et Reiset, pleurant à chaudes larmes, devant ?La Belle Jardinière? au fond de sa caisse, ainsi que devant un mort chéri, tout près d'être cloué dans le cercueil.
Le soir, après d?ner, nous allons au chemin de fer de la rue d'Enfer, et je vois les dix-sept caisses, contenant l'Antiope, les plus beaux Vénitiens, etc.;--ces tableaux qui se croyaient attachés aux murs du Louvre pour l'éternité, et qui ne sont plus que des colis, protégés seulement contre les aventures de déplacement, par le mot: Fragile.
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_3 septembre_.--Ce n'est pas vivre, que de vivre dans ce grand et effrayant inconnu, qui vous entoure et vous étreint.
... Quel aspect que celui de Paris, ce soir, sous le coup de la nouvelle de la défaite de Mac-Mahon et de la captivité de l'Empereur! Qui pourra peindre l'abattement des visages, les allées et venues des pas inconscients battant l'asphalte au hasard, le noir de la foule aux alentours des mairies, l'assaut des kiosques, la triple ligne de liseurs de journaux devant tout bec de gaz, les _à parte_ anxieux des concierges et des boutiquiers, sur le pas des portes--et dessus les chaises des arrière-boutiques, les poses anéanties des femmes, qu'on entrevoit seules, et sans leurs hommes...
Puis la clameur grondante de la multitude, en qui succède la colère à la stupéfaction, et des bandes parcourant le boulevard en criant: _La déchéance! Vive Trochu!_ Enfin le spectacle tumultueux et désordonné d'une nation, résolue à se sauver par l'impossible des époques révolutionnaires.
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_4 septembre_.--Ici, ce matin, sous un ciel gris qui rend tout triste, un silence de la terre, qui fait peur.
Vers les quatre heures, voici l'aspect extérieur de la Chambre. Se détachant du grisatre de la fa?ade, au-devant et autour des colonnes, sur les marches de l'escalier, le tassement d'une multitude, d'un monde d'hommes, où les blouses font des taches blanches et bleues dans le noir du drap, d'hommes, dont la plupart ont des branchages à la main, ou des bouquets de feuilles vertes, attachés à leurs chapeaux noirs.
Soudain, une main se lève au-dessus de toutes les têtes, et écrit sur une colonne, en grandes lettres rouges, la liste des membres du gouvernement provisoire,
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