grizzly.
-- On ne les voit guères hors des montagnes; mais on rencontre assez
souvent les autres espèces dans les prairies. Il n’y a pas une semaine
que Maggie, en cueillant des fraises, se trouva, sans s’en douter, nez à
nez avec un de ces gros messieurs bruns.
-- Vous voulez plaisanter! s’écria Halleck dans la consternation: et,
comment cela s’est-il passé?
-- On ne pourrait dire lequel fut plus effrayé, de la fille ou de l’ours.
Chacun s’est sauvé à toutes jambes; l’ours, peut-être, court encore. En
en parlant, Adolphe, voudriez-vous manger une tranche d’ours braisé?
-- Oh! ne me parlez pas de ça! j’aimerais mieux manger du mulet ou du
cheval!
-- Peuh! je ne dis pas.... ces animaux ont un autre goût.... un autre
fumet...
-- Je vous crois, et ne désire pas faire la comparaison. Peut-on bien
supporter pareille mangeaille! Allez donc proposer à un habitué de la
ménagerie de New York des beefsteaks de Sampson l’ours qui a mangé
le vieil Adam Grizzly!
-- Enfin, mon cher neveu, tu ferais comme les Indiens, après tout: et tu
y prendrais goût, peut-être.
Halleck fit une grimace négative et tendit son assiette à mistress
Brainerd en disant:
-- Chère tante, veuillez me donner une petite tranche de votre excellent
roastbeef; je me sens un appétit féroce, ce soir.
-- Vous ne pouvez vous imaginer... Si c’était bien cuit, bien tendre,
bien servi devant vous... observa le jeune Will avec un tranquille
sourire; vous en digéreriez très bien une portion.
-- Impossible, impossible! je vous le répète. Il y a des choses
auxquelles on ne peut se faire. Je ne suis pas difficile à contenter,
cependant je sens que jamais je ne pourrai supporter pareille nourriture.
-- Mais les Indiens?...
-- Ah! si j’en étais un, le cas serait différent; mais je suis dans une peau
blanche, et je tiens à mes goûts.
-- Enfin! poursuivit l’oncle John qui semblait prendre un plaisir tout
particulier à insister sur ce point; tu pourrais bien en goûter un morceau
exigu, pas plus gros que le petit doigt.
-- Mon oncle! inutile! De l’ipécacuanha, du ricin, de l’eau- forte, tout
ce que vous voudrez, excepté cet horrible régal.
-- En tout cas, vous reviendrez une seconde fois à ceci, observa
mistress Brainerd en prenant l’assiette de l’artiste, avec son sourire
doux et calme; il ne faut pas que vous sortiez de table, affamé.
-- Volontiers, ma tante, bien volontiers: je suis tout honteux ce soir,
d’avoir un appétit aussi immodéré, ou d’être aussi gourmand, car ce
roastbeef est délicieux.
-- Ah! mon garçon! quelqu’un sans appétit, dans ce pays-ci, serait un
phénomène; va! mange toujours! reprit l’oncle John facétieusement; je
n’ai qu’un regret, c’est de ne pouvoir te convertir à l’ursophagie.
-- Voyons! ne me parlez plus de ça! je n’en toucherais pas une miette,
pour un million de dollars.
-- Finalement, vous êtes content de votre souper?
-- Quelle question! c’est un festin digne de Lucullus.
-- Mon mignon! tu n’as pas mangé autre chose que des tranches d’ours
noir !
-- Ah-oo-ah! rugit l’artiste en se levant avec furie, et prenant la fuite au
milieu de l’hilarité générale.
CHAPITRE III UNE VISITE.
La nuit -- une belle nuit du mois d’août -- était splendide, calme,
sereine, illuminée par une lune éclatante et pure; l’atmosphère était
transparente et d’une douceur veloutée; il faisait bon vivre!
Après le souper, Maggie s’était mise au piano et avait joué quelques
morceaux, sur l’instante requête de l’artiste; chacun s’était assis au
hasard sous l’immense portique dont l’ampleur occupait la moitié de la
maison.
Halleck et le jeune Will fumaient leurs havanes avec béatitude; l’oncle
John avait préféré une énorme pipe en racine d’érable, dont la noirceur
et le culottage étaient parfaits.
Halleck était à une des extrémités du portail; après lui étaient Maria et
Maggie; plus loin se trouvait Will; venaient ensuite M. et mistress
Brainerd.
La nuit était si calme et silencieuse que, sans élever la voix, on pouvait
causer d’une extrémité à l’autre de l’immense salle. La conversation
devint générale et s’anima, surtout entre Maria et l’oncle John. Halleck
s’adressait particulièrement à Maggie, sa plus proche voisine.
-- Maria m’a parlé d’un Indien, un Sioux, je crois, qui est grand ami de
votre famille? lui demanda-t-il.
-- Christian Jim, vous voulez dire?...
-- C’est précisément son nom. Savez-vous où il habite?
-- Je ne pourrais vous dire -- je crois bien que sa demeure est aux
environs de la Lower Agency; en tout cas il vient souvent chez nous. Il
a été converti il y a quelques années, dans une occasion périlleuse, papa
lui a sauvé la vie; depuis lors Jim lui garde une reconnaissance à toute
épreuve: il nous aime peut-être encore plus que les missionnaires.
-- Un vrai Indien n’oublie jamais un service;
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