Jim lindien | Page 6

Gustave Aimard
ses regards eurent pénétré dans les profondeurs du véhicule, et
constaté que trois personnes l’occupaient, il fut fixé sur leur identité et
se répandit en joyeuses exclamations.
-- Whoa! Polly! Whoa! cria-t-il d’une voix de stentor; viens recevoir le
wagon. Est-ce vous, Adolphe? poursuivit-il, en prenant le cheval par la
bride.

-- D’abord, affirmez-moi, cher oncle, que vous tenez solidement cet
animal endiablé; bon! Maintenant, je m’empresse de répondre; oui,
c’est moi, qui me réjouis de vous rendre visite.
-- Ah! toujours farceur! Ravi de te voir, mon garçon! Allons, saute en
bas, et courons au salon. Là, donne la main; voilà ta valise; en avant,
marche! Je vous suivrai tous lorsque Polly sera arrivé.
Les trois voyageurs furent prompts à obéir et en entrant dans le parloir,
furent cordialement accueillis par leur excellente et digne tante,
mistress Brainerd. Maggie quitta avec empressement le piano pour
courir au-devant de son frère et de sa cousine; mais elle recula
timidement à l’aspect inattendu d’un étranger. Cependant elle reconnut
bien vite Adolphe qui avait été son compagnon d’enfance, et ne lui
laissa pas le temps de dire son nom.
-- Eh quoi! c’est vous, mon cousin? s’écria-t-elle avec un charmant
sourire; quelle frayeur vous m’avez faite!
-- Je m’empresse de la dissiper; répliqua l’artiste en lui tendant la main
avec son sans façon habituel; touchez-là! cousine, je suis un revenant,
mais en chair et en os.
-- Hé! jeunes gens! nous vous attendions pour souper; interrompit
l’oncle John, qui venait d’arriver; je ne crois pas nécessaire de vous
demander si vous avez bon appétit.
-- Ceci va vous être démontré, répondit Adolphe en riant; quoique
Maria m’ait secoué à me faire perdre tout bon sentiment, je sens que je
me remets un peu.
On s’attabla devant un de ces abondants repas qui réjouissent les
robustes estomacs du forestier et du laborieux settler, mais qui feraient
pâlir un citadin; chacun aborda courageusement son rôle de joyeux
convive.
L’oncle John était d’humeur joviale, grand parleur, grand hâbleur,
possédant la rare faculté de débiter sans rire les histoires les plus

hétéroclites. Sa femme, douce et gracieuse, un peu solennelle,
méticuleuse sur les convenances, grondait de temps en temps lorsque
quelqu’un de la famille enfreignait l’étiquette dont elle donnait le plus
parfait exemple: mais ses reproches faisaient fort minime impression
sur mistress Brainerd.
Le jeune Will, modeste et réservé pour son âge, quoiqu’il eût des
dispositions naturelles à une gaîté communicative, était loin d’atteindre
le niveau paternel. Maggie était extrêmement timide, parlait peu, se
contentant de répondre lorsqu’on l’interrogeait, ou lorsque
l’imperturbable Adolphe la prenait malicieusement à partie.
Quant à, Maria, c’était la folle du logis; rien ne pouvait suspendre son
charmant babil; son intarissable conversation était un feu d’artifice; elle
tenait tout le monde en joie.
Quoiqu’on fût à la fin du mois d’août, la soirée était tiède, admirable,
parfumée comme une nuit d’été.
-- Oui! l’atmosphère est pure dans nos belles prairies de l’Ouest, dit M.
Brainerd en réponse à une observation d’Halleck; toute la belle saison
est ainsi. Tu as bien fait de fuir les mortelles émanations des villes.
-- Hum! je ne les ai pas entièrement esquivées cette année. En juin,
j’étais à New York, en juillet, à Philadelphie; il y avait de quoi rôtir!
-- Eh bien! puisque te voilà avec nous, tu peux passer l’hiver ici. Tu
auras une idée du froid le plus accompli que tu aies rencontré de l’autre
côté du Mississipi.
-- Je m’aperçois que vous êtes disposés à proclamer la supériorité de
cette région, en tous points; mais si vous me prophétisez un hiver
encore plus rigoureux que ceux de l’Est, je serai fort empressé de vous
quitter avant cette lamentable saison.
-- Froid!... un hiver froid... Pour voir ça, il aurait fallu être ici l’année
dernière. Polly? vous souvenez-vous? Comment trouvez- vous ceci,
mon neveu? Les yeux d’un homme gelaient instantanément, son nez se

transformait en une pyramide de glace, s’il se hasardait à aspirer une
bouffée d’air extérieur, en ouvrant la porte!
-- Si jamais chose pareille m’arrive, je considérerai cela comme une
remarquable occurrence.
-- Oh ma femme ne l’oubliera jamais! Un jour, le plus gros de nos
porcs s’avise de sortir de l’écurie. Je le suivais par derrière, et je
remarquais sa démarche; elle devenait successivement lente et
embarrassée, comme si ses nerfs s’étaient raidis intérieurement.
Tout-à-coup il s’arrêta avec un sourd grognement; il me fut impossible
de le faire bouger de place; oui, j’eus beau le tirer en long et en large,
rien ne fit. Alors, je m’aperçus que ses pieds étaient gelés dans leurs
empreintes, ils y étaient fixés, fermes comme rocs; plus moyen de
remuer! Heureusement le dégel arriva au mois de février; alors le
pauvre animal put rentrer à l’écurie.
-- Combien de temps était-il resté dans cette curieuse position?
--
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